Le Vieux Nègre et la Médaille

Dans une langue chaleureuse et piquante, Ferdinand Oyono brosse le portrait de Meka, un « vieux nègre » que l’administration a décidé de récompenser pour son dévouement pour la France. Les truculentes aventures de cet homme, humble, mais non dépourvu de malice, sont un régal pour les sens et une subtile critique de la domination coloniale. Une pépite de la littérature africaine, réquisitoire et dénonciatrice.(Source: Éditeur).

Auteur: Ferdinand Oyono; Edition Julliard, 1956;  Réédition 10/18, 2005
 
  • La critique

Le titre Le vieux nègre et la médaille est frappant de justesse : l’adjectif « Vieux » apporte une force supplémentaire à l’humiliation de ce patriarche, soulignant cette irrévérence du vainqueur qui ne souffre aucune forme de compassion, pas même celle due à l’âge. Le mot « Nègre » quant à lui épouse pleinement sa connotation péjorative, justifiant, même auprès des hommes d’église l’immiscibilité de fait, entre le colonisateur Blanc et le colonisé Noir. La « Médaille » quant-à elle désigne la récompense du bon élève méritant. Un juste mélange qui fait de ce roman un des classiques de la littérature de l’Afrique coloniale française. Dans de ce court récit, drôle, acide et burlesque, Ferdinand Oyono montre les limites de la politique d’assimilation coloniale en Afrique. Les discours d’amitié, de fraternité et de reconnaissance mutuelle, font parjure face à une ségrégation impitoyable et omniprésente dans les quartiers, les salles de fête, les cimetières, ou à l’église. L’auteur connaît bien cette période d’avant la décolonisation. Né au Cameroun en 1929, cet ancien haut fonctionnaire et intellectuel camerounais diplômé de la Sorbonne et de l’école nationale d’administration (ENA) de Paris, a été enfant de chœur et boy dans une mission de l’église catholique. Ces liens qui unissent les maîtres « Blancs » à leurs serviteurs ne lui est pas inconnus.

L’histoire raconte la folle journée de Méka. Un vieux nègre, serviteur modèle, dévoué au service des patrons Blancs. Ancien soldat de l’armée française, ses deux fils moururent en guerre pour cette même France. Catholique zélé, il fit don de ses terres à l’église, parce que celles-ci « ont plu au bon Dieu ». L’annonce de sa décoration pour la fête du 14 juillet paraît une récompense logique et méritée, qui vient couronner ses loyaux services auprès des autorités coloniales. Une réconnaissance, seule suffisante pour faire de lui un ami, un frère, un égal des « Bancs ». Une médaille directement « venue de France » et remise par le Haut Commandant en personne! Cela vaut bien que Méka porte ces chaussures qui lui font si mal aux orteils.  L’évènement est inédit, grandiose, et l’euphorie qui habite Méka et ses proches en témoigne. Famille, voisins et amis participent de chœur à ces réjouissances qui commencent bien assez tôt au jour venu. Commencée en grandes pompes, arrosée de vin, rythmée de joutes verbales et proverbiales, cette journée va pourtant peu à peu prendre une tournure surréaliste, voir Kafkaïenne. Ivre au soir venu, notre héros va vivre une succession de situations inattendues, cocasses, parfois tristes. Une descente aux enfer à l’issue de laquelle il se retrouvera seul et humilié et meurtri de désillusions.

Il serait cependant injuste de ne voir dans ce récit qu’une critique unidirectionnelle contre l’autorité coloniale. Le personnage de Méka présenté comme est fier, vaniteux et alcoolique tien surtout du portrait plutôt que de la caricature. Ferdinand Oyono décrit là avec humour les vices d’une population asservie par la force et par la pensée. Une population colonisée, peu à l’aise dans cette culture venue d’ailleurs et à laquelle elle aspire.

Biographie de l’auteur Amadou Hampâté Bâ, descendant d’une famille aristocratique peule, est né au Mali en 1900. Écrivain, historien, ethnologue, poète et conteur, il est l’un des plus grands spécialistes de la culture peule et des traditions africaines. 
Chercheur à l’Institut français d’Afrique Noire de Dakar dès 1942, Amadou Hampâté Bâ fut l’un des premiers intellectuels africains à recueillir, transcrire et expliquer les trésors de la littérature orale traditionnelle ouest-africaine – contes, récits, fables, mythes et légendes. Ses premières publications datent de cette période. En 1962, au Conseil exécutif de l’UNESCO, où il siégeait depuis 1960, il a attiré l’attention sur l’extrême fragilité de la culture ancestrale africaine en lançant un cri d’alarme devenu célèbre : « En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ». 
Outre des contes, comme Petit Bodiel et autres contes de la savane, Amadou Hampâté Bâ a écrit des ouvrages d’histoire, des essais religieux, comme Jésus vu par un musulman, ou Vie et enseignement de Tierno Bokar, le sage de Bandiagara, ainsi que ses mémoires, Amkoullel l’enfant peul, suivi de Oui, mon commandant, publiés en France à partir de 1991. Amadou Hampâté Bâ est mort à Abidjan en mai 1991

Vie et Œuvres écrites : Amadou Hampâté Bâ est né en 1900 ou 1901 à Bandiagara, chef-lieu du pays Dogon et ancienne capitale de l’Empire toucouleur. Enfant de Hampâté Bâ et de Kadidja Pâté Poullo Diallo, il est descendant d’une famille peule noble. Peu avant la mort de son père, il sera adopté par le second époux de sa mère, Tidjani Amadou Ali Thiam, de l’ethnie toucouleur. Il fréquente d’abord l’école coranique de Tierno Bokar, un dignitaire de la confrérie tidjaniyya, avant d’être réquisitionné d’office pour l’école française à Bandiagara puis à Djenné. En 1915, il se sauve pour rejoindre sa mère à Kati où il reprendra ses études.

En 1921, il refuse d’entrer à l’École normale de Gorée. À titre de punition, le gouverneur l’affecte à Ouagadougou, en qualité d’« écrivain temporaire à titre essentiellement précaire et révocable ». De 1922 à 1932, il occupe plusieurs postes dans l’administration coloniale en Haute-Volta (actuel Burkina Faso) puis jusqu’en 1942 à Bamako. En 1933, il obtient un congé de six mois qu’il passe auprès de Tierno Bokar, son maître spirituel.

En 1942, il est affecté à l’Institut français d'Afrique noire (IFAN) de Dakar grâce à la bienveillance de son directeur, le professeur Théodore Monod. Il y effectue des enquêtes ethnologiques et recueille les traditions orales. Il se consacrera notamment à une recherche de quinze ans qui le mènera à rédiger l’Empire peul du Macina. En 1951, il obtient une bourse de l’UNESCO lui permettant de se rendre à Paris et de rencontrer les milieux africanistes, notamment Marcel Griaule.

En 1960, à l’indépendance du Mali, il fonde l’Institut des sciences humaines à Bamako et représente son pays à la Conférence générale de l’UNESCO. En 1962, il est élu membre du Conseil exécutif de l’UNESCO. En 1966, il participe à l’élaboration d’un système unifié pour la transcription des langues africaines. En 1970, son mandat à l’UNESCO prend fin.

Amadou Hampâté Bâ se consacre alors entièrement à son travail de recherche et d’écriture. Les dernières années de sa vie, il les passera à Abidjan en Côte d'Ivoire à classer ses archives accumulées durant sa vie sur les traditions orales d’Afrique de l'Ouest ainsi qu’à la rédaction de ses mémoires, Amkoullel l’enfant peul et Oui mon commandant !, qui seront publiés en France en 1991. Il meurt à Abidjan en mai 1991. La publication, la révision et la conservation de ses écrits ont reçu l’aide de Hélène Heckmann, devenue sa femme en 1969.

Œuvres

·        L'Empire peul du Macina (1955, nouvelle édition en 1984)

·        Vie et Enseignement de Tierno Bokar, le sage de Bandiagara (1957, réécrit en 1980), adapté au théâtre par Peter Brook en 2003.

·        Kaïdara, récit initiatique peul (1969)

·        Aspect de la civilisation africaine (1972)

·        L'Étrange Destin de Wangrin (1973) – Grand prix littéraire d'Afrique noire 19748.

·        L’Éclat de la grande étoile (1974)

·        Jésus vu par un musulman (1976)

·        Petit Bodiel (conte peul) et version en prose de Kaïdara (1976)

·        Njeddo Dewal mère de la calamité (1985, conte fantastique et initiatique peul)

·        Ce que vaut la poussière, contes et récits du Mali (1987)

·        Amkoullel l’enfant peul (Mémoires I, 1991) – Grand prix littéraire d'Afrique noire 1991

·        Oui mon commandant ! (Mémoires II, 1994)

·        Il n' y a pas de petite querelle (2000)

·        Ravins érotiques (2001), dix textes dont un d'Amadou Hampâté Bâ, vingt-cinq gravures de Michel Moskovtchenko, édition de 30 exemplaires numérotés, U.R.D.L.A., Villeurballe

·        Mémoires (2012)

·        Coépouse bossue... ou méchanceté punie (2015)

·        La révolte des bovidés (2015)

Résumé du roman  l’etrange destin de wangrin :

Ce roman raconte la vie d'un personnage de l'Afrique de l’ouest colonisée de la fin du XIXe et du début du XXe siècle.
Wangrin est né vers 1888 dans la région de
 Nougibou ( Bougouni, au Mali). Il fait partie de l’ethnie des Bambaras et est à ce titre initié au Komo (une initiation spirituelle et religieuse très longue dont chaque étape dure 7 ans et qui est composée d’un grand nombre d’interdits et d’obligations sacrificielles).
À 17 ans, il est réquisitionné pour « l’école des otages » (note 10 p 367 : « école créée par les colons français qui réquisitionne de force les fils de notables et de chefs pour les intégrer dans le système administratif français afin qu’ils servent aux autorités française et ne se rebellent pas »). A la sortie de cette école, Wangrin, qui est très doué, est nommé moniteur de l’enseignement et envoyé pour diriger une école à
 Diagaramba (Bandiagara).
Avant de partir il est circoncis et choisit son dieu patron Gongoloma-Sooké qui est le dieu des contraires et de la malice, à la fois bon et mauvais. Car Wangrin a déjà prévu de monter « des affaires carabinées » pour lesquelles il aura bien besoin de l’aide d’un dieu pervers. Cette initiation est complétée d’une prophétie qui lui promet une vie réussie mais le condamne à une fin très sombre.
A Bandiagara, Wangrin s’intègre brillamment à tous les échelons de la société et tisse sa toile d’influences ; seul lui échappe l’interprète du commandant : Racoutié. Celui-ci parle le « forofiton naspa », le français des tirailleurs, tandis que Wangrin parle le français des « blancs blancs », celui du pouvoir. C’est contre ce premier ennemi que Wangrin va commencer à utiliser des protections occultes et magiques : « Wangrin était devenu telle une mine piège » et celle-ci sera d’une grand efficacité puisque l’interprète est aussitôt ridiculisé et éliminé.
Wangrin accède ainsi au poste le plus haut que puisse avoir un autochtone : celui d’interprète, « la voix et les oreilles » du commandant. Un poste d’influence puisqu'il est l’intermédiaire obligatoire entre l’administration française et les représentants du peuple africain. L’interprète est celui qui, derrière le commandant, gère toutes les affaires de la région. Grâce à ce poste, Wangrin peut créer un formidable réseau de renseignement et de corruption même si parallèlement Wangrin donnera

beaucoup aux pauvres qui lui serviront d’armée d’indicateurs toute sa vie.
A ce moment, Wangrin mène des jours plus fastueux les uns que les autres, mais deux malédictions surviennent ; d’une part il tourne mal  : « Déjà sa conscience semblait être devenue aphone… » Et d’autre part c’est l’entrée en guerre de la France contre l’Allemagne. Wangrin entrevoit un formidable moyen de profiter de la guerre en majorant le prix de vente des bœufs destinés à nourrir les troupes. Il profite pour cela de l’incurie du nouvel adjoint du commandant, le Comte de Villermoz, qui préfère se promener à cheval plutôt que de signer des papiers.
Mais cette affaire ne profitera pas longtemps à Wangrin car elle sera vite découverte par un inspecteur envoyé à Bandiagara. Celui ci intente alors un procès au comte de Villermoz tandis que Wangrin tente de faire disparaître les preuves l’accusant. Dans l’Afrique coloniale un administrateur blanc était censé être intouchable, il était très risqué pour Wangrin de l’utiliser et pire encore de l’avoir contre lui. Malgré la mise en place d’un stratagème complexe et la protection de tous les marabouts, griots et sages qu'il connaît, Wangrin ne se sortira qu’in extremis de cette affaire, avec une réputation entachée et la perte de confiance de son commandant de cercle qui demandera sa mutation.
Wangrin est alors envoyé à
 Goudougaoua (Ouagadougou). Au cours du voyage pour rejoindre cette ville, il traverse l’opulente cité de Yagouwahi (Ouahigouya), carrefour commerçant entre le Mali et le Burkina Faso. Cette ville est tenue d’une main ferme par l’interprète Romo Sibedi ; celui-ci, de la même région que Wangrin, le reçoit comme un prince mais Wangrin que la cupidité et l’ambition taraudent va entrevoir tous les profits qu’il pourrait faire à cette place et la vie qu’il pourrait y mener. Il n’aura plus dès lors d’autre ambition que de prendre la place de Romo. Ce qu’il fera en quelques jours.
Il vivra à
 Yagouwahi de longues années largement profitables. Mais le tragique destin qui lui a été prédit s’avance inexorablement et les forces opposées se rassemblent contre lui : le conte de Villermoz de retour en Afrique demande son affectation dans la région que dirige Wangrin et s’allie aussitôt à Romo. Ensemble ils parviennent à le faire muter à Dioussola (Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso ), capitale commerciale de la région à cette époque.
Wangrin n'est pas trop affecté par cette nouvelle nomination et se hâte de monter de nouvelles affaires. Il s’agit cette fois d’introduire frauduleusement parmi les riches commerçants français un commerçant africain, faisant ainsi profiter les intermédiaires des retombées économiques du commerce entre l’Afrique et la France. Mais aussi, par un moyen de taxes et de pots de vin, de gagner toujours plus d’argent et d’étendre sa puissance à toute l‘Afrique de l’ouest.
Ce commerce à peine mis en place, les vieux ennemis de Wangrin ressurgissent et réussissent à le chasser définitivement de sa place d’interprète. Wangrin, plus rusé, donne sa démission et reste sur place en s’établissant comme commerçant à part entière. Il fonde alors la CIEB, une compagnie d’import export qui deviendra une des plus importantes de l’AOF, et surtout la seule à être dirigée par un Africain.
A ce moment, Wangrin est rattrapé par sa prédiction et les mauvaises augures s’accumulent. Wangrin ne cherche à aucun moment à lutter contre son destin ; au contraire, face aux catastrophes qui s’accumulent, il s’enfonce joyeusement dans la débauche. Il se met à fréquenter un couple de Blancs déchus et malsains qui le font boire. Puis il tue malencontreusement son animal fétiche et perd la pierre de Gongoloma-sooké qui le protégeait des mauvais sorts. En quelques mois il décline, ne peut plus écrire, se fait piller par le couple, se met à voler lui-même. Il meurt dans la misère entre 1930 et 1940.

2ème resumé : Wangrin est un interprète de l’administration coloniale dans les années 1910.

Il est issu de « l'école des otages » ainsi nommée par la-dite administration car on y envoyait de force tous les fils de chefs pour leur donner un enseignement de qualité et créer ainsi une élite moderne tout en calmant les éventuelles ardeurs contestataires.

À l'époque, le rôle de l'interprète était majeur. Muni d'un « certificat d'études primaires indigènes » et maîtrisant plusieurs

langues africaines en dehors du français, Wangrin sut s'attirer la confiance du commandant de région et joua un rôle important en lui servant de conseiller et de secrétaire.

Ce poste privilégié permit à Wangrin de gagner de l'argent – beaucoup d’argent – au détriment de l’administration coloniale et des commerçants locaux. Il faut dire que Wangrin choisit de se placer sous le signe du dieu « Gongoloma Soké », dieu bizarre et ambigu car « à la fois bon et mauvais, sage et libertin ».

De poste en poste, d'entourloupes en « tours carabinés », Wangrin finit par acquérir au faite de sa gloire, une vraie fortune qu'il utilisa aussi largement – et discrètement comme il se doit – à aider les pauvres et les nécessiteux.

Robin des Bois Toucouleur, le livre narre avec truculence les ruses de cet homme véritablement noble, particulièrement intelligent et fin connaisseur des ambitions humaines ; ce qui ne l’empêchera pas de finir son existence spolié et ruiné.

On pourrait penser qu’il s’agit là d’un conte contemporain sur l’ambition, sur l’administration coloniale, sur les pratiques religieuses au Sahel au début du XXe siècle mêlées d'islam et de fétichisme ou d'un portrait d’une vraie personnalité, d’une espèce de Rastignac africain en beaucoup plus sympathique.

En fait, ce livre est bien plus que cela : Wangrin a réellement existé et ce livre est la narration de sa vie écrite à la demande expresse de l’intéressé.

Ce livre nous plonge loin dans l’espace et le temps à des moments qui font aujourd’hui partie de notre histoire. Guidé par ce personnage attachant, nous abordons des rivages qui seraient totalement oubliés sans cet ouvrage qui fourmille de détails sur les modes de vie, les croyances, les différentes composantes de la société africaine.

Reflet d'une époque, cette biographie picaresque fait date et se dévore en offrant d'agréables moments de lecture.

Etude de quelques thèmes : 1. LE CHRISTIANISME DANS L’ETRANGE DESTIN DE WANGRIN

La religion chrétienne fut, pour les colonisateurs, un instrument d’assimilation culturelle des peuples africains. Les missionnaires accompagnèrent les armées d’occupation.

1.1. L’enseignement religieux chrétien :Ces missionnaires étaient venus enseigner aux Africains une civilisation et une foi nouvelles :Les petits élèves de l’école des otages et de l’orphelinat des métis assistaient en effet à la messe chaque dimanche, les premiers pour recevoir bonbons et friandises que les prêtres distribuaient parfois à leurs catéchumènes, les seconds parce qu’ils y étaient obligés. Le catholicisme était en effet regardé comme la religion officielle de leurs pères, bien que ceux-ci fussent considérés comme « inconnus » par l’état civil [

1.2. La résistance religieuse des Africains :Beaucoup d’Africains, dans le roman, qui avaient déjà en leur for intérieur l’islam et l’animisme, ne manqueront pas d’essayer de fermer leur cœur à la nouvelle foi venue d’Europe :Comme tous les élèves de l’École des otages, Wangrin avait eu coutume, en entrant dans l’église, de faire le signe de la croix en prononçant une formule spéciale et quelque peu sacrilège. En effet, la traduction correcte en bambara de la formule sacramentelle :

1.3. Le christianisme et le pouvoir politiqueLe christianisme, c’est, officiellement, pour les autorités coloniales françaises, le catholicisme. Mais A. H. Bâ nous montre que la France comprend une autre mouvance chrétienne : le protestantisme. 
Hampâté Bâ évoque cette religion en esquissant le portrait psychologique de l’inspecteur des affaires administratives venu auditer le cercle de Diagaramba, suite à une dénonciation anonyme à propos d’un vol de bœufs dans lequel Wangrin et l’adjoint du commandant de cercle sont impliqués

2. L’ISLAM DANS L’ETRANGE DESTIN DE WANGRIN :L’islam est beaucoup plus anciennement implanté que le christianisme en Afrique de l’Ouest. Des populations de cette région l’ont embrassé depuis le Moyen Age. Il a longtemps cohabité avec les croyances traditionnelles et s’est même greffé à elles. Le syncrétisme islamo-animiste est une constante en Afrique occidentale, même si on note souvent une opposition principielle entre l’islam et les religions africaines. 
Contrairement à l’église catholique, l’islam n’est pas pris en compte dans la nomenclature hiérarchique de l’administration coloniale. Pourtant, il a fortement moulé les mentalités, les comportements, certaines pratiques coutumières indigènes.

2.1. L’Islam et les parlers locaux :Les parlers locaux sont enrichis d’expressions arabo-islamiques qui sont souvent modifiées et adaptées aux accents et modes d’élocution des Africains. En atteste la formule de salutation très courante en Afrique de l’Ouest, et que l’on retrouve à maintes reprises dans L’Etrange destin de Wangrin : « Salamale-kum ! La paix sur vous ! » [19]. C’est l’auteur qui traduit pour le public étranger, notamment européen. 
Après les salutations, on dit au visiteur « Similla ! » [
20]. Ce terme est un diminutif et une africanisation du premier verset du Coran, que tout musulman doit prononcer en entrant dans un lieu ou en en sortant et en commençant un acte, à savoir : « Bismi Llaahir Rahmanir Rahimi », qui signifie « Au nom de Dieu le Très Miséricordieux, le Tout Miséricordieux » [21]. 
Il en est de même de certaines exclamations faites pour confirmer la véracité d’une affirmation ou pour marquer sa satisfaction ou son admiration. Wangrin s’exclame « Wallaye ! Wallaye ! » [
22], témoignant ainsi sa joie à Diofo, le chef des esclaves de feu Brildji, envoyé par Loli, qui lui a apporté beaucoup d’or, lui en promettant plus, si le cadavre de son maître n’est pas exhumé. « Wallaye » se constitue de deux mots arabes : « wa » (و) et « Allah » (). C’est, selon la tradition islamique, une formule de serment signifiant « au nom de Dieu » ou « par le Dieu tout-puissant ».

2.2. L’islam, régulateur psychosociologique :L’islam, qui est ainsi visible dans la langue courante, régit les actes, les pensées des fidèles, voire leurs coutumes et traditions. En premier lieu, notons l’utilisation du caractère sacré du Coran pour sceller une nouvelle alliance entre Africains :Abougui Mansou tendit les deux mains vers Wangrin et lui dit : “ Mets tes mains dans les miennes’’. Wangrin s’exécuta avec beaucoup d’humilité. Abougui Mansou récita le premier chapitre (ou « sourate ») du Coran appelé Fatiha, « l’Ouvrante ». C’était là le scellement de leur pacte de mutuelle assistance... [23].

2.3. La figure de l’imamParler de prière musulmane amène à s’intéresser à la figure de l’imam. C’est le dirigeant des différents offices religieux, comme le prêtre ou le pasteur de la religion chrétienne. Wangrin fait usage du pouvoir d’Imam Souleymane pour manipuler Karibou – qui l’a déjà payé pour l’exhumation de son frère – et le persuader à y renoncer. Voici comment le protégé de Gongoloma-Sooké va faire entrer l’imam dans son jeu :O imam, lui dit-il (Wangrin), j’ai une pénible tâche à accomplir qui consiste à exhumer le corps de Brildji afin de constater qu’il n’a pas été assassiné. Je n’ai jamais, de ma vie, entendu parler de l’accomplissement d’une œuvre aussi macabre. […] 
Aussi voudrais-je te demander d’accompagner Loli et Diofo qui conduiront une délégation auprès de Karibou, pour le prier de venir me demander de surseoir à l’exhumation prescrite par les blancs-blancs, chefs du pays. 
- O Wangrin, répondit l’imam, l’islam et la tradition peule ignorent l’exhumation. Un double devoir m’astreint donc de m’élever contre cette opération. C’est avec plaisir que j’accompagnerai Loli auprès de son oncle dans le but que tu suggères
 [
30].

3. LA RELIGION AFRICAINE TRADITIONNELLE DANS L’ETRANGE DESTIN DE WANGRIN :La religion africaine traditionnelle se dévoile dans le roman à travers des survivances et des pratiques qui relèvent de la magie. Elle est dénommée animisme par beaucoup d’historiens et d’ethnologues. A la fin du XIXe siècle, l’anthropologue Edward B. Taylor [32] emploie ce terme pour désigner les croyances des peuples dits « primitifs ». 
Issu du latin
 animus, signifiant âme, animisme est expliqué par Amadou H. Bâ en ces termes : « Tout est lié. Tout est vivant. Tout est interdépendant ». Il se livre ensuite à une véritable exégèse de cette forme de spiritualité :L’homme africain est un croyant né. Il n’a pas attendu les Livres révélés pour acquérir la conviction de l’existence d’une Force, Puissance-Source des existences et motrice des actions et mouvements des êtres. Seulement, pour lui, cette force n’est pas en dehors des créatures. Elle est en chaque être. Elle lui donne la vie, veille à son développement et, éventuellement, à sa reproduction [33].La religion africaine traditionnelle reconnaît, d’après ces propos, l’existence d’un Dieu suprême, à l’instar des religions dites révélées. Mais elle est une forme singulière d’appréhension du monde.3.1. L’ontologie traditionnelle africaineLa religion africaine traditionnelle est d’abord une ontologie. L’Africain conçoit l’être humain comme un concentré de forces, de doubles. Ceux-ci entrent parfois en conflit ou simplement discutent, comme ici chez Wangrin :Son “double espoir’’ lui susurra : “Wangrin, ne t’en fais pas. Un homme qui roule sur des millions et des lingots d’or comme toi ne saurait connaître l’injure du sort.’’ 
Son “double objectif’’ ripostait en chuchotant avec fermeté : “Wangrin, tu as amorcé une pente glissante…’’
 [34].A la page 327 de L’étrange destin de Wangrin, le lecteur peut constater que le « double » n’est pas seulement logé dans la personne, il habite, par la vertu de bilocation, en même temps le « Tana » ou animal sacré. Ainsi est-il proscrit à tout homme de tuer son « Tana » au risque que des conséquences fâcheuses ne lui adviennent. En commettant une telle bévue, Wangrin s’est définitivement livré à l’emprise de la malchance.3.2. Les divinités :La personne principale de l’homme est appelée par les Bambaras Maa, cette dénomination se retrouve dans le nom du Dieu suprême Maa-Ngala. Cela « lui confère l’esprit et le fait participer à la Force Suprême » [35] dont il devient l’interlocuteur privilégié. 
Mais le croyant animiste ne s’adresse directement au Dieu suprême que très rarement. La mythologie traditionnelle est pleine de divinités aux fonctions et aux caractéristiques bien tranchées. Selon le but que l’on veut atteindre, on invoque telle ou telle divinité intermédiaire. Le croyant est dans une relation magique avec les forces surnaturelles. Il suscite leur action en agissant sur elles par le biais du verbe, du geste et du sacrifice.
 
Amadou Hampâté Bâ se plaît à recenser, dans
 L’étrange destin de Wangrin, les divinités du panthéon local. On note en premier lieu Maa-Ngala, le Dieu suprême, comme dans ces propos :3.3. Etres et choses sacrés :Les dieux et les esprits des ancêtres de la religion traditionnelle africaine ont des adjuvants palpables. Ce sont des animaux, des végétaux, des minéraux, des masques et même des humains censés être investis de leurs vertus. Ce sont des temples inertes ou vivants, des totems [45]. Ils sont l’objet de rituels d’approche et d’interdits. 
Pour ce qui est des végétaux sacrés, plusieurs types se présentent dans le roman. Le « vieux toro bossu » [
46], arbre mystérieux « aux fleurs invisibles dont les corolles étaient d’or », est un des symboles du mythe qui ouvre le roman. Dans ce végétal sont réunis le sublime (les fleurs en or) et le hideux (la forme bossue de l’arbre). Cela lui confère un aspect monstrueux qui s’harmonise dans son environnement peuplé d’êtres bizarres. 3.4. Les espaces sacrés :Le sacré, même s’il irradie toutes les activités humaines, n’en possède pas moins des espaces spécifiques, réservés. Ces lieux sont entourés du même respect craintif que celui accordé aux puissances occultes censées les habiter. Toute transgression, toute omission ou négligence des rites nécessaires pour y accéder serait sanctionnée par les dieux. 
Plusieurs types de ces espaces religieux nous sont offerts dans
 L’étrange destin de Wangrin : le bois sacré, les cours d’eau sacrés… 
Le bois sacré est un lieu de culte central. C’est le tabernacle des mânes des ancêtres. Chaque clan a son bois sacré et même parfois chaque famille. Mais il est « forclos à tout rire de femme et à tout sourire qui se fane » [
54], déclame Senghor. D’autres sanctuaires naturels existent. Ce sont les cours et étendues d’eau : les rivières, marigots, fleuves, lacs. Dans L’étrange destin de Wangrin, il est fait état notamment de ’’Mare aux caïmans sacrés’’ » à Diagaramba appelée « Iwaldo » [55], de « cours d’eau sacré qui traversait la ville » de Dioussola [56]. Ces eaux sont sacrées du fait de leur contenu : caïmans, pythons ou boas (« dassiri »), poissons. Animaux qui sont l’incarnation des ancêtres ou des esprits. La sacralité des eaux est donc un transfert métonymique : le résident rend respectable et vénérable la résidence.3.5. Le culte et les rites traditionnels :La religion traditionnelle a son propre mode d’adoration des puissances spirituelles. Le croyant cherche à atteindre la déité ciblée et à la faire agir ou réagir en sa faveur. Wangrin adresse cette prière à ses ancêtres - la prière est le premier mode d’adoration et de vénération :O mânes des miens ancêtres, vous qui êtes au royaume des forces, venez une fois de plus à mon secours. 
Dans mes veines court votre sang. Il a coulé de vos artères dans celles de mon père, puis dans les miennes. Digne ou indigne, je suis de vous.
 
Soufflez en moi la vertu qui permet au caméléon de changer constamment ses couleurs selon l’ambiance afin de passer inaperçu.
 
Insufflez en moi la douceur et la tendresse de l’agneau qui me permettront de plaire à tous et de mieux réaliser mes affaires.
 
Mais aussi, grands ancêtres ! guerriers farouches ! armez-moi des griffes du lion et du léopard afin que je puisse déchirer sans pitié et sans quartier ceux qui se mettraient en travers de ma route et qui chercheraient à faire dévier le cours de mes gains vers une caisse autre que la mienne…

CONCLUSION

L’étrange destin de Wangrin est assurément, comme le veut Xavier Garnier [61], un roman spiritualiste. Trois traditions religieuses s’y côtoient et marquent de part en part la vie, l’itinéraire, la mentalité et les actes des personnages. 
La religion africaine traditionnelle est improprement appelée animisme, ce terme ne reflétant pas toutes ses réalités et tous ses aspects.
 
Elle occupe une place de choix dans
 L’étrange destin de Wangrin. Elle cohabite sans heurts avec l’islam dans un harmonieux syncrétisme que rien ne semble offusquer.

 

 

 

Ahmadou KOUROUMA, En attendant le vote des bêtes sauvages

« Les dictateurs africains se comportent dans la réalité comme dans mon roman. Nombre de faits et d'événements que je rapporte sont vrais. Mais ils sont tellement impensables que les lecteurs les prennent pour des inventions romanesques. »

C'est en ces termes qu'Ahmadou Kourouma parlait de En attendant le vote des bêtes sauvages au cours d'un entretien paru dans le n°75 de Politique africaine (octobre 1999). Nous voilà prévenus : cette oeuvre vise à la dénonciation politique. Mais pas seulement. Empruntant à la forme dudonsomana, genre littéraire malinké que Kourouma définit comme un récit évoquant « la vie des chasseurs, leur lutte magique contre les animaux et les fauves », ce roman laisse régulièrement affleurer à la surface du texte des échos épiques et féériques qui le poussent vers une tonalité de réalisme magique.

Résumé et structure


Le genre du donsomana influe sur toute la structure du texte, qui se trouve alors divisé non en chapitres, mais en veillées, au cours desquelles le sora (ou griot) raconte toute la vie du dictateur Koyaga, en présence de celui-ci, depuis le mariage de ses parents jusqu'à la révolte populaire à laquelle il doit finalement faire face, en passant par sa jeunesse, son accession au pouvoir, son mode de gouvernement, les tentatives d'assassinat dont il a été la victime et la vie de son ministre Maclédio. Dès le début, le donsomana est présenté comme un récit purificatoire... De quoi Koyaga doit-il donc se purifier ? C'est ce que l'assistant du sora, le cordoua, se chargera de nous dire, par de nombreuses interventions inopinées... Dès l'ouverture du récit (« Votre nom : Koyaga ! Votre totem : faucon ! »), le sora s'adresse directement au dictateur, en un style direct dynamique qui persiste jusqu'à la fin du roman. Encensement ostentatoire ou accusation voilée ? Koyaga devrait certainement réfléchir à la question...

Chaque veillée est associée à un thème dominant, la tradition, la mort, le destin, le pouvoir, la trahison ou encore la fin. Chaque thème est illustré par de nombreux proverbes africains, tels que« Quand le fort occupe le chemin, le faible entre dans la brousse avec son bon droit » (sur le pouvoir, veillée IV). De là à penser que ces thèmes sont ceux qui sous-tendent le parcours du dictateur, il n'y a qu'un pas ; comment, dans ce cas, ne pas interpréter le dernier (la fin) comme une menace implicite ? De fait, si Koyaga, à la fin du récit, en est réduit à devoir faire dire son donsomana purificatoire afin de retourner le sort en sa faveur, c'est précisément parce qu'il est en sérieuse difficulté... Quoi qu'il en soit, la construction cyclique du roman ne peut qu'être remarquée.

Langue et style


Bien qu'imitant une transmission orale, la langue de Kourouma est très travaillée, très écrite en somme, et ne lasse jamais, car l'auteur d'En attendant le vote des bêtes sauvages sait alterner les tonalités avec un brio rare. Qu'il soit apprécié ou pas, son style, parfois flamboyant, parfois truculent, ne peut en aucun cas laisser indifférent. Pour exemple, cet extrait mémorable de la deuxième veillée, à propos du passage des éléphants dans la forêt, p.71/72 :

« La transhumance des gros provoque d'abord un reflux et ensuite un flux des bêtes et oiseaux de toutes les espèces. Les centaines de pachydermes arrachent et défont les lianes, renversent les arbres, créent un couloir et avancent. Dans le silence de la grande forêt tropicale, le vacarme est plus assourdissant que les orages du mois d'avril. Les singes, les antilopes, les serpents et les oiseaux effrayés abandonnent les gîtes, débandent, détalent ou volent vers des refuges plus cléments. C'est le reflux.

Mais, sous les pattes des pachydermes, le sol se tapisse de glands, de fleurs et des fruits frais, fins et sains des sommets. Ce sont les victuailles recherchées par des rongeurs qui, appâtés, par colonies se précipitent sous les pattes des éléphants. Et par milliers se dont écraser. Leurs restes attirent les carnivores et les rapaces. La bouse fumante qui couvre le couloir ouvert par le troupeau affriande des nuées d'insectes que des milliers de passereaux chassent et gobent. Les passereaux sont à leur tour pourchassés par des centaines d'oiseaux de proie. C'est donc des troupeaux de rongeurs et de carnivores, des nuages d'insectes et volées d'oiseaux qui s'enfoncent, s'engouffrent dans le couloir ouvert par le troupeau de pachydermes, le survolent et le suivent. C'est le flux. »


C'est pourtant dans un tout autre registre que se situe l'évocation des relations entre Koyaga et Maclédio, à la dernière page de cette même veillée :

« Depuis ce jour, Maclédio est devenu votre pou à vous, Koyaga, perpétuellement collé à vous. Il reste votre caleçon œuvrant partout où vous êtes pour cacher vos parties honteuses. Cacher votre honte et votre déshonneur. Il ne vous a jamais plus quitté. Vous ne vous déplacerez jamais plus sans lui. »

Autant dire que la relation d'allégeance est évoquée sous un angle assez peu habituel. Mais quel que soit le ton, emphatique ou sardonique, prophétique ou prosaïque, le plaisir des mots est une évidence dans l'écriture de Kourouma. Il suffit de lire un extrait de l'énumération des animaux de la réserve (sixième veillée, p.378/379) pour s'en convaincre :

« Se mêlaient à eux, les accompagnaient ou les suivaient, les colonies d'antilopes : bubales, hippotragues, situtongas, bongos, céphalophes de rutilatus, noirs, de dorsalis, de Maxwell, à dos jaune et de Jentink. Se mêlaient à eux, les accompagnaient ou les suivaient les grands buffles des savanes, d'éléphants, des bandes de phacochères, de lions, de léopards, de cynhyènes, », etc., la liste complète courant sur plus d'une page !


Thématique et enjeux

L'un des aspects les plus percutants du roman est peut-être l'union étroite qu'il réalise entre folklore traditionnel et récit contemporain. Les diplomates se promènent avec des grigris cachés sous leur complet veston. Les affaires de l'Etat sont menées d'après les conseils des marabouts. Et surtout, les affrontements politiques font appel à des armes magiques ! Le passage le plus remarquable, dans cette optique, est certainement le putsch de Koyaga contre Fricassa Santos, qui vire rapidement au duel de sorcellerie entre grands initiés : tandis que Fricassa Santos provoque la panne générale d'électricité dans tout le pays et se change en tourbillon de vent pour s'enfuir, Koyaga fait appel à un devin pour le localiser. Mais le narrateur intervient toujours pour proposer aux esprits résolument cartésiens une explication rationnelle en guise de roue de secours, ne fermant ainsi la porte à aucun des deux univers.

La raison de cette cohabitation est à chercher directement dans les genres dont s'inspire l'auteur : d'une part, le donsomana, geste de chasseur, donc récit héroïque (pour s'en convaincre, il suffit de lire les fameux passages de la deuxième veillée au cours desquels Koyaga vainct successivement trois bêtes sauvages redoutables car douées de magie) ; de l'autre, la satire politique, une dimension très présente.

D'abord, En attendant le vote des bêtes sauvages serait un roman à clefs, dans les pages duquel défileraient sous divers noms d'emprunt Eyadéma, Théodore Laclé, Houphouët-Boigny, Mobutu, Hassan II, Bokassa... Diverses personnalités du monde réel d'autant plus repérables que si leurs noms ont été modifiés, leurs totems, en revanche, sont conservés (et soigneusement soulignés !). D'autre part, le cordoua, grâce à son rôle de « fou du roi », peut se permettre de donner aux paroles du sora un écho nettement moins élogieux. Exemple p.10 :


« Tiécoura, tout le monde est réuni, tout est dit. Ajoute votre grain de sel. Le répondeur joue de la flûte, gigote, danse. Brusquement s'arrête et interpelle le président Koyaga.
– Président, général et dictateur Koyaga, (…) nous dirons la vérité. (…) Toute la vérité sur vos saloperies, vos conneries ; nous dénoncerons vos mensonges, vos nombreux crimes et assassinats...
– Arrête d'injurier un grand homme d'honneur et de bien comme notre père de la nation Koyaga. »


De plus, le sora lui-même semble parfois moins élogieux qu'on voudrait nous le faire croire. Il insiste lourdement sur certaines insuffisances de Koyaga ; par exemple, quand il évoque la panne d'électricité provoquée par Fricassa Santos, il suggère en passant que Koyaga est surestimé par ses hommes... et s'appesantit sur le sujet avec une complaisance manifeste.

Mais la veillée au cours de laquelle la dénonciation politique est la plus patente est sans conteste la quatrième : Koyaga, fraîchement parvenu à la tête du pays, se lance dans un grand voyage diplomatique visant à observer les us et coutumes de ses nouveaux collègues, à savoir les pires dictateurs du continent. Commence alors un remarquable panorama d'atrocités, qui fait défiler trahisons, méthodes originales de torture, sacrifices humains déguisés en assassinats politiques... Un pic de cynisme est atteint avec le personnage du dictateur Tiékoroni, qui, d'humeur charitable, se propose de donner à son collègue débutant dans la profession les trois règles d'or qui feront de lui un parfait dictateur : ne jamais séparer ses caisses privées de celles de l'Etat, ne jamais établir de distinction entre la vérité et le mensonge, passer maître dans l'art de la manipulation.

La critique politique se fait volontiers satirique. Dans cette perspective, on peut citer le passage de la rencontre entre Koyaga et Maclédio, au cours duquel Maclédio s'en donne à coeur joie en tournant Koyaga en ridicule : Koyaga ayant commis l'erreur de lui faire lire sa proclamation, Maclédio la couvre littéralement d'annotations doctorales visant à la faire finalement ressembler à « une vraie proclamation », ce qui en dit long sur la qualité du texte avant retouches !

Le roman s'achève sur un pic de cynisme jusqu'alors inégalé :


« Vous préparerez (…) des élections au suffrage universel supervisées par une commission nationale indépendante. Vous briguerez un nouveau mandat avec la certitude de triompher, d'être réélu. Car vous le savez, vous êtes sûr que si d'aventure les hommes refusent de voter pour vous, les animaux sortiront de la brousse, se muniront de bulletins et vous plébisciteront. » (p.381)

Une sortie énigmatique, qui n'est pas sans laisser la porte ouverte à interprétations. Que signifie ce « vote des bêtes sauvages » ? Au vu de ce qui est dit de lui, Koyaga est certainement capable de les ensorceler, mais sans doute faut-il plutôt y voir un trait plus sarcastique : les animaux étant mieux traités que les êtres humains dans le gouvernement de Koyaga, qu'il soit élu par eux relève de la logique la plus pure. Néanmoins, on est très tenté de pencher pour une lecture plus métaphorique : les « bêtes sauvages » ne sont rien d'autre que les hommes, tels qu'ils ont été décrits au fil du roman.

V. Résumé des chapitres de Batouala

Chapitre 1 : Le roman commence par le réveil du grand chef de village de Grimari, le moukoundji Batouala. Le narrateur fait une présentation du personnage en insistant sur sa « force légendaire », ses exploits amoureux, guerriers ou de chasseur.

Chapitre 2 : l’arrivée du jour : c’est l’annonce par message tambouriné (pp. 41-42) de la fête des Ga’nzas dans les 9 jours à venir aux villages environnants. Fête qui sera marquée par la circoncision des jeunes hommes et excisions des jeunes filles.

Chapitre 3 : le lendemain de l’annonce, l’une des neuf femmes de Batouala, et sa préférée, Yassigui’ndja se rend au rendez-vous de Bissibi’ngui. Mais elle surprend le jeune homme avec une autre femme qui se trouve être sa coépouse I’ndouvoura. Dans sa colère, elle s’en retourne chez elle, mais elle est attaquée par Mourou la panthère. Elle est sauvée de justesse par Batouala et Bissibi’ngui.

Chapitre 4 : Trois jours avant la fête des Ga’nzas, Batouala est invité par son frère Macoudé à manger. Dévorées par la jalousie, les deux femmes de Batouala, Yassigui’ndja et I’ndouvoura se querellent.

Chapitre 5 : C’est le jour de la fête des Ga’nzas à Grimari, et tous les signes d’une belle fête sont visibles : les li’nghas (tam-tam), les chants des femmes, les rires. Les villageois tiennent assemblée, ils discutent sur la cruauté, la méchanceté et la duplicité des Blancs. Bien informés des problèmes occidentaux, ils abordent la guerre qui oppose les français aux allemands.

Chapitre 6 : La fête bat son plein avec l’arrivée des Ga’nzas, les li’nghas, balafons, kou’ndés… Une communion entre jeunes et vieux, hommes et femmes se fait dans la danse. Tout juste après les épreuves de circoncision et d’excision, et pendant que les li’nghas et kou’ndés tonnaient, le commandant arriva à l’improviste mettant ainsi fin à la cérémonie. En ce moment, le père de Batouala est retrouvé mort.

Chapitre 7 : Les funérailles du père de Batouala se déroulent comme prévu par la tradition. Le cadavre devait être exposé durant huit jours, parfois même plus. Batouala pendant ce temps ruminait une vengeance contre son ami Bissibi’ngui. L’enterrement de défunt est fait ainsi que le veut la coutume.

Chapitre 8 : Yassigui’ndja se rend au rendez-vous de Bissibi’ngui. Elle lui fait savoir qu’elle a ses menstrues, et demande la protection de celui-ci, car on l’accuse d’avoir causé la mort de son beau-père. Elle lui exprime son amour et lui propose de fuir vers la capitale Bangui.

Chapitre 9 : La nuit arrive et Bissibi’ngui va à la chasse sur l’invitation de Batouala. Mais comprenant les indications de Macoudé, il flaire le danger. « Comment tuerait-il Batouala ? » Telle est la question qui le hante.

Chapitre 10 : Après une longue marche dans la nuit, Bissibi’ngui arrive enfin au campement de Batouala où il trouve la mère de ce dernier et le petit chien Djouma. Batouala lui raconte le mythe de création du feu, celui d’Ipeu, la lune et de Lolo, le soleil. Cependant C’est pour faire allusion à sa vengeance.

Chapitre 11 : c’est une belle matinée de battue pour la chasse. Batouala raconte des légendes sur la vie des lions et des panthères. Puis il fait le récit d’un Blanc, Coquelin, qui, ayant tué un M’balas, meurt à la suite des blessures qui lui cause l’animal.

Chapitre 12 : Il y eut un feu de brousse qui ameute les animaux. C’est dans cette confusion de chasse que Bissibi’ngui en évitant la panthère qui bondissait sur lui put par la même occasion éviter in extremis la sagaie que lui destinait Batouala. La panthère que la sagaie manqua de transpercer se rua sur le lanceur Batouala et lui ouvrit le ventre.

Chapitre 13 : c’est l’agonie de Batouala devant les yeux moqueurs de sa femme et de son rival. Malgré la science des sorciers noirs, Batouala ne put être sauvé.

VI. Les personnages

VII. Les thèmes

VII. Style et techniques

 

Conclusion

Ce roman est complet. Il ne pouvait en être autrement, car il est écrit par un administrateur colonial qui n’a pas peur de représailles de la part de son employeur blanc. Il est ainsi complet parce qu’il renferme au-delà de l’intrigue autour de la vie banale d’un chef de village en période coloniale, l’histoire de tout un peuple face à différentes situations causées par le colonisateur. La réussite de Maran réside dans la façon de rendre vivant son récit avec l’animation de la faune et de la flore qui participent dans le rythme de la vie des africains. Cette symbiose réussie actualise le roman dans le débat actuel de l’homme face à son environnement. L’indispensable vie naturelle des noirs s’offre ici comme un exemple d’harmonie que la civilisation occidentale n’a pas fini de détruire, et avec une grande partie des coutumes africaines.

Cha

Épopée de Soundiata

Un prologue de l'épopée rattache l'ascendance de Soundiata Keïta au prophète de l'islamMahomet, ce qui est notamment un moyen de légitimer le pouvoir de la dynastie au Moyen âge1. Les Keïta sont présentés comme les descendants de Bilali Bounama, serviteur de Mahomet et, selon la légende, premier Noir à s'être converti à l'islam. Dans la version de Mamadou Kouyaté et Djibril Tamsir Niane, Bilali Bounama vient du Hedjaz2. Il a sept fils, dont l'aîné, Lawalo, part s'établir au Manding et y fonde la dynastie3. Dans la version de Babou Condé écrite par Camara Laye, cet ancêtre, dont le nom est transcrit "Bilali Jbounama", est un Tchadien fait prisonnier par Khalifa, roi du Cameroun, et réduit en esclavage, ce qui lui vaut le surnom de Bilali Kabs ("Bilali l'esclave")4. Brimé pour avoir développé seul des croyances monothéistes, Bilali est condamné à mort après une tentative d'évasion, mais il est sauvé par Boubakar Sidiki, un serviteur de Mahomet, qui le sauve en le rachetant puis l'offre à Mahomet. Après quelques années, ce dernier l'affranchit et lui donne le droit d'être appelé par son nom complet, Bilali Ibn Ka Mâma. Dans cette version, le fils de Bilali qui vient s'installer au Manden et en devient le premier roi est Latal Kalabi5.

Le buffle du Dô[modifier | modifier le code]

Soundiata est le fils de Naré Maghann Konaté, roi du Manding (ou Manden), et de Sogolon Kondé, une femme laide et bossue (d'où son surnom de "Sogolon Kèdjou", "Sogolon la laide"), mais dotée de puissants pouvoirs magiques. L'origine de cette union surprenante est relatée par l'épisode du buffle du Dô.

Le roi de la région du Dô, Gnèmo Diarra, aussi appelé Dô-Moko Niamoko Djata (« Djata, le guide des gens du Dô »), a une sœur aînée nommée Dô-Kamissa. À un moment donné, alors qu'elle est déjà une vieille femme, Dô-Kamissa est lésée par son frère, d'une façon qui varie selon les versions. Dans la version de Mamadou Kouyaté et D. T. Niane, Dô-Kamissa est privée de sa part d'héritage par son frère6. Dans la version de Cissé et Kamissoko, le motif de conflit survient à l'accession du roi au trône : le roi se voit recommander d'accomplir un sacrifice fastueux, le sacrifice d'un taureau blanc taché de noir, pour assurer la prospérité de son règne. Sachant sa sœur susceptible, le roi va d'abord lui offrir dans sa maison le sacrifice d'un bœuf de taille extraordinaire. Mais par la suite, Dô-Kamissa, prévenue par un cordonnier, apprend que l'autre sacrifice, encore plus fastueux, a eu lieu sans qu'elle y soit invitée ni n'en reçoive une part. Pour venger ce témoignage de mépris, Dô-Kamissa se métamorphose régulièrement en buffle et ravage la région7.

Deux chasseurs, Dan Massa Woulani (autrement dit Tiramakhan Traore) et Dan Massa Woulamba, se concilient Dô-Kamissa en multipliant les offrandes et témoignages de respect à son égard. Elle leur révèle alors comment la tuer sous sa forme de buffle, qui est par ailleurs invulnérable. Elle pose cependant une condition : lorsque le roi Gnèmo Diarra leur offrira de se choisir, comme récompense, une épouse parmi les jeunes filles du pays, ils devront choisir la plus laide, Sogolon Kondé, et aller la remettre au roi du Manden. Sogolon est le double ou la réincarnation de Dô-Kamissa, d'où son surnom de Femme-buffle.

Les chasseurs obéissent et vont offrir la jeune fille à Naré Maghann Konaté, aussi appelé Maghan Kon Fatta, roi du Manding, réside à Niani, dans la région de Siguiri, dans l'actuelle Guinée. C'est ainsi que Naré Maghann Konaté épouse Sogolon, qui lui donnera plusieurs enfants dont Soundiata.

Naissance et enfance de Soundiata Keïta[modifier | modifier le code]

Naré Maghann Konaté épouse donc Sogolon. Mais la première épouse du roi, Sassouma Bereté, fait tout pour rabaisser Sogolon et pour mettre en avant son propre fils. Les choses empirent après la naissance de l'enfant de Sogolon, Soundiata, car Soundiata reste longtemps sans parler et ne sait toujours pas marcher à dix ans passés, de sorte que Sogolon devient la risée de toutes les femmes, Sassouma en tête. Un jour, après une ultime insulte de Sassouma, Soundiata s'éveille enfin, parvient pour la première fois à se mettre debout pour marcher et révèle même une force colossale : il va déraciner un baobab à mains nues pour en apporter les feuilles à sa mère, qui en a besoin pour cuisiner. Soundiata devient aussitôt l'héritier désigné du roi et se lie avec Balla Fasséké, qui devient son griot attitré.

L'exil[modifier | modifier le code]

Cependant, à la mort de Maghan Kon Fatta, Sassouma fait jouer son influence et les volontés du souverain défunt ne sont pas respectées. Sogolon et Soundiata sont envoyés en exil, ainsi que le frère de Soundiata, Manding Bory, et sa sœur, Djamarou. De plus, Soundiata et son griot sont séparés, car Balla Fasséké est envoyé en ambassade dans le royaume de Sosso chez le cruel roi-sorcier Soumaoro Kanté. Soundiata, ses frère et sœur et sa mère quittent donc Niani, capitale du Manding, et se rendent d'abord à Djedeba, chez le roi Mansa Konkon, où ils séjournent deux mois jusqu'à ce que Soundiata découvre et déjoue une trahison de Mansa Konkon, qui, démasqué, ne le tue pas mais le chasse en même temps que sa famille. Les exilés s'arrêtent ensuite dans la ville fortifiée de Tabon, chez le roi Fran Kamara, où ils sont excellemment reçus : Fran Kamara et Soundiata deviennent amis et alliés. Soundiata et sa famille suivent ensuite une caravane de marchands jusqu'à Wagadou, chez le roi Soumaba Cissé, roi des Cissé, où ils sont bien traités. Après un an, le roi les envoie à Mema, à la cour de son cousin Moussa Tounkara. Les enfants de Sogolon y achèvent leur croissance : Soundiata et Manding Bory y prennent part à leurs premiers combats. Après trois ans, Soundiata est nommé Kan-Koro-Sigui (vice-roi) à l'âge de dix-huit ans.

La guerre contre Soumaoro[modifier | modifier le code]

Cavalier militaire du Mali médiéval. Figure en terre cuite trouvée à Djenne (arrière-pays du delta du Niger). xiiie siècle-xve siècle.

L'épopée raconte ensuite le retour de Soundiata au Manding, puis la façon dont il défie le roi-sorcier Soumaoro Kanté, qui règne à Sosso. La guerre est déclenchée lorsque Soumaoro, après de multiples exactions contre son peuple, épouse de force Keleya, la femme de son propre neveu, Fakoli Doumbia, ce qui est considéré comme un inceste : furieux, Fakoli quitte Sosso avec sa tribu et appelle les autres tribus à la sédition. Des révoltes éclatent, cruellement réprimées par Soumaoro, qui rase Niani et se proclame roi du Manding. Des envoyés malinkés vont alors trouver Soundiata à Mema pour lui demander d'entrer en guerre contre Soumaoro. Le mêle jour, Sogolon, très malade, meurt et Soundiata doit négocier avec le roi de Mema pour pouvoir l'enterrer sur place, car Soumaba ne voit pas partir son subalterne d'un bon œil. Soundiata rentre alors au Manding et lève une armée constituée des tribus alliées, à commencer par celle de Fran Kamara.

Soundiata et ses forces infligent une première défaite à Soumaoro à Tabon, où Soumaoro n'est pas présent en personne lors de la bataille. Tandis que Soundiata marche sur Sosso, Soumaoro et le gros de ses forces viennent à sa rencontre et les deux armées s'affrontent dans la vallée de Negueboria. Soundiata remporte la victoire, mais, malgré ses attaques répétées contre Soumaoro lui-même dans la mêlée, il ne peut le tuer ou même le blesser, car Soumaoro fait appel à sa magie pour éviter ses coups et se déplacer instantanément d'un point du champ de bataille à l'autre. Soumaoro tente de harceler les troupes de Soundiata en faisant donner sa cavalerie contre le campement de Soundiata le soir même, mais Soundiata parvient à retourner l'escarmouche à son avantage et à poursuivre Soumaoro jusqu'à Kankigné. Soundiata rejoint ensuite ses alliés à Sibi (aujourd'hui Siby) où tous se regroupent sous ses ordres. Il est également rejoint par Balla Fasséké et par une autre de ses sœurs, Nana Triban, qui ont fui le camp de Soumaoro. Nana Triban, épousée de force par Soumaoro, a su lui soutirer le secret de sa puissance : un Tana, sorte de génie protecteur, qu'il conserve sous la forme d'un ergot de coq.

Lorsque les deux armées se rencontrent à nouveau lors de la bataille de Kirina (ou Krina), dans la vallée du Djoliba, Soundiata fixe à la pointe d'une de ses flèches l'ergot de coq que Nana Triban a volé à Soumaoro, et lorsque l'ergot blesse le roi, Soumaoro perd instantanément ses pouvoirs. Dès lors, le roi de Sosso ne fait que fuir devant Soundiata. Soumaoro lui-même et son fils fuient vers la région de Koulikoro et escaladent la montagne, poursuivis par Soundiata, mais arrivent à s'échapper. La bataille de Kirina est un succès complet pour Soundiata et signe la fin de l'empire Sosso. Soundiata assiège alors la ville de Sosso elle-même et s'en empare en une matinée, puis la rase.

Kouroukan Fouga et les débuts de l'empire[modifier | modifier le code]

L'empire du Mali et les royaumes voisins vers 1530 sous le règne de Soundiata.

Soundiata travaille alors à l'édification de son empire. Il prend la ville de Kita et en gravit la montagne pour s'assurer la protection des génies qui y résident, tandis que ses armées guerroient dans toute la région. De retour au Manding, il réunit l'ensemble de ses alliés à Kouroukan Fouga, où tous lui prêtent serment d'allégeance et où est établie une charte réglant l'éthique et les grands principes des lois de l'empire, la charte du Manden. Soundiata devient le mansa (roi) de l'empire du Mali.

La version de l'épopée relatée par Wa Kamissoko met l'accent sur les conflits qui suivent la défaite de Soumaoro : nombre des anciens alliés de Soundiata, après s'en être remis à lui pour vaincre Soumaoro, tentent de se soustraire à son autorité une fois l'ennemi commun disparu. Soundiata doit réprimer leurs velléités d'indépendance, et y parvient grâce à l'aide de ses deux principaux alliés restés fidèles, Tiramakhan Traore et Manden Fakoli, qui se chargent de combattre et de vaincre les alliés révoltés8.

Mort de Soundiata[modifier | modifier le code]

Il existe plusieurs variantes dans l'épopée à propos de la mort de Soundiata.

Selon une variante répandue rapportée par D. T. Niane, Soundiata se noie dans la rivière Sankarani et est enterré à proximité du cours d'eau9.

Dans la version de Wa Kamissoko, Soundiata meurt de vieillesse dans son palais à Dakadjalan, après avoir pris toutes ses dispositions testamentaires et fait ses recommandations à ses deux principaux vassaux, Tiramakhan Traore et Manden Fakoli10. Il est enterré en grande pompe à Dakadjalan même ; son corps est alors placé dans une grande jarre (cho doun) elle-même enterrée profondément au fond d'un puits qui est ensuite rebouché11. Les funérailles de Soundiata sont célébrées dans la capitale par l'ensemble des trente-trois clans du Mandé12Youssouf Tata Cissé précise que « des croyances » affirment qu'au moment où Soundiata rendit l'âme, un énorme hippopotame surgit des eaux de la rivière Sankarani entre Niani et Balandougouba, et que cet animal, qui vit toujours, incarne l'esprit de Soundiata11.

Y. T. Cissé rapporte également une autre variante répandue par des Peuls du Wassouloun (ou Wassoulou) selon laquelle le mansa aurait été abattu d'une flèche par un archer peul, un esclave aveugle : il s'agit selon Cissé d'une variante revancharde due à l'hostilité que Soundiata s'était attirée de la part des esclavagistes peuls après avoir chargé l'un de ses serviteurs (un djon ba) d'administrer le Wassouloun et de lutter contre les pratiques esclavagistes qui y avaient cours13.

La mort de Soundiata est suivie d'une période trouble, l'interrègne, durant laquelle des querelles éclatent pour la succession du roi14. De plus, le Mandé est attaqué par des royaumes voisins ; c'est finalement Niani Massa Mamourou Koroba qui reprend le titre de mansa qu'avait porté Soundiata15.

Date et auteurs[modifier | modifier le code]

L'épopée de Soundiata a pour personnage principal le roi Soundiata Keïta, qui a vécu au xiiie siècle: à première vue, elle semble donc s'être formée à cette époque ou par la suite. Toutefois, selon Daniel P. Biebuyck, il n'est pas impossible qu'une partie du matériau qu'elle brasse soit antérieur à l'existence historique de Soundiata lui-même, car les épopées de chasseurs qui existent dans les mêmes régions pourraient être antérieures à l'épopée de Soundiata et avoir influencé ses différents épisodes16.

Le ou les premiers auteurs de l'épopée de Soundiata sont inconnus, car les traditions orales n'ont pas conservé leurs noms : les griots connaissent les noms des principaux prédécesseurs et professeurs dont ils tiennent leur propre savoir, mais n'accordent pas d'importance particulière à ce à quoi pouvait ressembler la toute première version de l'épopée ou au nom de son ou de ses premiers créateurs17. Par ailleurs, la variation est de règle dans une épopée orale de ce type, dont chaque représentation ou « performance » opère un choix et une mise en forme différentes qui dépendent du griot, du courant de tradition auquel il se rattache, du public auquel il s'adresse et des circonstances dans lesquelles la séance a lieu18.

La tradition orale[modifier | modifier le code]

Modalités de la tradition orale[modifier | modifier le code]

En tant qu'épopée de tradition orale, l'épopée de Soundiata s'est d'abord transmise et diffusée sans recours à l'écrit, c'est-à-dire qu'elle était préservée par des griots qui en apprenaient par cœur les différents épisodes dans leur jeunesse et la transmettaient de la même façon à leurs apprentis par la suite. Cette tradition orale est toujours vivante sur les territoires de l'ancien empire du Mali19 et coexiste avec la diffusion écrite, plus récente, de l'épopée.

Dans la tradition orale, les épisodes de l'épopée font l'objet de séances que les chercheurs anglo-saxons nomment souvent « performances » (de l'anglais performance, « représentation »). Ces séances, durant lesquelles la parole du griot est toujours accompagnée de musique, combinent récitation et improvisation, mais aussi parfois chant, mime et danse ; ils donnent lieu à de fréquents échanges entre le griot et son public, qu'il s'agisse de dialogues ou de reprises d'un refrain20. La parole épique ne se cantonne pas à la seule narration, mais peut inclure des considérations sur le griot, ses professeurs et ses ancêtres, ou bien sur certains membres du public, sur la communauté ; elle se mêle d'éloges, d'anecdotes et de réflexions philosophiques et morales.

Style[modifier | modifier le code]

Selon Charles Bird, l'épopée de Soundiata se compose de vers définis non pas par des rimes, des accents ou un nombre de syllabes donné, mais par le rythme musical qui accompagne systématiquement les récitations. Il avance l'hypothèse d'une correspondance entre le vers poétique et un rythme de quatre battements accentués21.

Versions écrites et traductions[modifier | modifier le code]

Les éditions scientifiques de l'épopée sont toutes des mises par écrit de variantes de la tradition orale racontées par des griots ou des djeli. Les premières mises par écrit se trouvent dans des manuscrits arabes que les colons français d'Afrique de l'Ouest traduisent au tournant des XIXe-XXe siècles22. À partir des années 1890, des administrateurs des colonies et des militaires, en grande majorité français, recueillent des versions de l'épopée qui sont publiées en français et en allemand à partir de 189822. Au début du xxe siècle, à partir surtout des années 1930, des Africains de l'Ouest ayant reçu une éducation à l'européenne produisent des versions littéraires de l'épopée22. Un rôle important semble avoir été joué durant cette période par l'École normale William Ponty créée en 1903 à Saint-Louis au Sénégal : la stratégie coloniale française d'alors cherchant à créer sur place une culture franco-africaine, l'établissement favorise le rassemblement d'informations sur l'épopée et sa diffusion sous la forme de versions écrites et d'une pièce de théâtre23.

C'est toutefois en 1960 que paraît l'un des premiers ouvrages à faire connaître plus largement l'épopée de Soundiata en français : Soundjata ou l'épopée mandingue, dans lequel l'historien africain Djibril Tamsir Niane met par écrit une version brève et retravaillée de l'épopée que le griot Mamadou Kouyaté lui a relatée dans le village de Siguiri, en Guinée, dans les années 195024. Ce livre suscite un intérêt très large pour l'épopée de la part des chercheurs, en Afrique et hors d'Afrique, et joue un rôle décisif dans le développement des recherches à son sujet22.

Une version nettement plus ample, incluant une transcription de la narration originale en langue malinké en plus de la traduction française, est réalisée conjointement par l'ethnologue malien Youssouf Tata Cissé et par le griot Wa Kamissoko : elle consigne cette fois la version de Wa Kamissoko, qui s'inscrit parmi les traditions orales circulant dans la région de Krina au Mali. Cette version résulte de la longue coopération entre Cissé et Kamissoko, et aboutit à deux colloques organisés à Bamako par la Fondation SCOA pour la recherche scientifique en Afrique noire en 1975 et 1976, colloques au cours desquels des chercheurs européens et des traditionnistes africains se rencontrent, discutent et échangent afin d'élaborer ensemble une histoire du Mali médiéval. Au cours de ces colloques, Cissé réalise plusieurs enregistrements des paroles de Wa Kamissoko lorsqu'il déclame l'épopée, et prend en note les échanges de questions-réponses entre le griot et les autres chercheurs25. La version de l'épopée de Soundiata qui en résulte est publiée pour la première fois en 1975-1976 en deux volumes sous la forme d'actes du colloque de l'association SCOA, sous le titre L'Empire du Mali26. Elle fait ensuite l'objet d'un autre ouvrage par les mêmes auteurs, La Grande Geste du Mali, également en deux volumes, en 1988 et 1991.

L'africaniste américain John William Johnson recueille et traduit deux versions de l'épopée. La première, recueillie auprès du griot Magan Sisoko, est publiée sous le titre The Epic of Sun-Jata according to Magan Sisoko en 1979. L'autre est recueillie auprès du griot Fa-Digi Sisoko, père de Magan Sisoko, dans la région de Kita en 1968, et est publiée dans le livre The Epic of Son-Jara: A West African Tradition en 1986 ; Soundiata y apparaît sous le nom de Son-Jara27.

Contexte et pertinence historique[modifier | modifier le code]

Peu de sources écrites existent sur l'histoire de l'empire du Mali. Parmi les principales sources écrites figurent les récits de voyageurs arabes du xive siècle, dont le plus fameux est Ibn Khaldun qui mentionne Soundiata. De ce fait, l'épopée de Soundiata et plus généralement les traditions orales encore vivaces constituent des sources importantes sur l'histoire de la région. Mais leur pertinence et leur fiabilité en tant que sources historiques font débat parmi les historiens, car la tradition a nécessairement subi des transformations au fil des siècles. Une partie des historiens tente cependant de discerner des éléments de vérité historique dans l'épopée, mais avec prudence. L'historien américain David C. Conrad a ainsi pu entreprendre cette démarche à propos du personnage de Fakoli Doumbia28.

L'existence historique de Soundiata Keïta et les grandes lignes de sa carrière politique ne font pas de doute : sa victoire sur Soumaoro Kanté à Kirina semble avoir eu lieu autour de 123529Ibn Khaldun indique que Soundiata établit son autorité « sur le royaume de Ghana jusqu'à l'Océan du côté de l'Occident30 ». Le nom et l'emplacement de la capitale choisie par Soundiata n'ont pas été identifiés avec certitude par les historiens, ethnologues et archéologues31.

Diffusion récente et postérité[modifier | modifier le code]

Jusqu'à la fin du xixe siècle, la diffusion de l'épopée de Soundiata était uniquement ou presque uniquement orale. Au cours du xxe siècle, la diffusion de l'épopée emprunte un nombre croissant d'autres supports qui viennent s'ajouter aux traditions orales toujours actives : des versions écrites et des réécritures littéraires, mais aussi des diffusions à la radio ou des enregistrements sur cassette audio puis CD des performances des griots, des versions théâtrales, télévisées, etc.32

Littérature[modifier | modifier le code]

Le griot et écrivain malien Massa Makan Diabaté évoque l'épopée de Soundiata dans plusieurs de ses livres : Janjon et autres chants populaires du Mali (1970) et surtout L’Aigle et l’épervier ou la Geste de Soundjata, paru en 1975. L'écrivain guinéen Camara Laye donne une version de l'épopée de Soundiata dans Le Maître de la parole en 1978, après une enquête sur l'épopée dans le Haut-Niger (en Guinée, au Mali et au Sénégal) où il recueille et traduit les chants du griot Babou Condé33. Le romancier français Raphaël Chauvancy a développé cette épopée sous forme de roman historique dans Soundiata Keïta, Le lion du Manden, ce qui lui a valu l'attribution du prix spécial du jury de l'interculturalité en 201534.

Au théâtre, l'épopée a été adaptée par Patrick Mohr dans la pièce Soundjiata représentée entre 1989 et 1991 en Australie (en 1989 au Festival de Sydney, en anglais), en Suisse (en 1990 au Théâtre du Grütli pour La Bâtie Festival de Genève, dans une version française jouée par la compagnie du Théâtre Spirale créé dans ce but par Mohr) en France (en 1991 au Festival d'Avignon), puis ailleurs en Europe et enfin au Mali et au Burkina Faso, d'après une version racontée à Mohr par Mamadou Kouyaté35. En 2010, l'écrivain guinéen Issiaka Diakité-Kaba publie une réécriture de l'épopée en pièce de théâtre, Sunjata, The Lion: The Day When The Spoken Word Was Set Free / Soundjata, Le Lion : Le jour où la parole fut libérée, qui paraît aux États-Unis chez Outskirts Press. La pièce est écrite en vers libres, en français et en anglais, et est destinée à être mise en scène avec un accompagnement musical de jazz. Elle met en avant le rôle des femmes et la question de l'abolition de l'esclavage par Soundiata, tout en s'écartant du dénouement habituel de l'épopée afin de nourrir une réflexion sur les carrières des personnalités politiques en Afrique36.

Peinture et illustration[modifier | modifier le code]

Des versions courtes de l'épopée, souvent illustrées, sont régulièrement éditées dans des collections pour la jeunesse. Une version romancée pour la jeunesse écrite par l'africaniste Lilyan Kesteloot et illustrée par Joëlle JolivetSoundiata, l'enfant-lion, est parue chez Casterman en 1999. En 2002, le peintre et illustrateur Dialiba Konaté publie au Seuil L’épopée de Soundiata Keïta, un album de grand format réalisé en collaboration avec Martine Laffon, qui regroupe ses peintures sur les différents épisodes de l'épopée ; Dialiba Konaté est l'un des premiers à tenter de réaliser des illustrations directement adaptées de la parole des griots et des traditionnistes, et mène pour cela des recherches qui concilient les ouvrages historiques sur l'empire du Mali et les détails plus légendaires donnés par les griots37. Un court album écrit par Modibo Sidibé et illustré par Svetlana Amegankpoe a été publié en 2005 aux éditions Donniya à Bamako.

Musique[modifier | modifier le code]

Une version musicale de l'épopée, Sunjata ou l'épopée mandingue, a été réalisée par l'Ensemble instrumental du Mali et publiée au Mali par le Ministère de la Jeunesse, des Sports, des Arts et de la Culture en 197638. Un spectacle slam musical, Soundiata Keita, quand un homme africain entre dans l'Histoire, a été créé par le musicien franco-sénégalais Tidiane Sy en France en 2009 et donné par la suite à Bamako au Mali et à Djibouti39,40. La chanteuse malienne Rokia Traoré fait allusion à Soundiata, à Sogolon et à Maré Makan Diata dans sa chanson "Dounia" sur l'album Tchamantché en 2008 : elle mentionne Soundiata comme "l'un de ceux qui ont construit une Afrique digne et vivant d'espoirs, une Afrique qui nous manque".

Cinéma[modifier | modifier le code]

Sorti en 1994, le film d'animation des studios Disney Le Roi lion, bien que principalement inspiré d'autres œuvres, a pu être rapproché par sa structure de l'épopée de Soundiata41.

En 1995, le cinéaste burkinabé Dani Kouyaté réalise Keïta ! L'Héritage du griot, dans lequel un jeune garçon, Mabo Keïta, fait l'école buissonnière pour écouter le vieux griot Djéliba lui expliquer l'origine de son nom en lui racontant l'épopée de Soundiata. Le film évoque à la fois l'épopée elle-même et la mise en péril de la transmission de la tradition orale à cause de la dégradation du statut social des griots42.

Dans le film d'animation Kirikou et les Hommes et les Femmes de Michel Ocelot (2012), la griotte raconte à Kirikou l'épopée de Soundiata, que Kirikou transmet à son tour aux villageois en la modifiant à son goût.

En 2014 sort un long-métrage d'animation ivoirien adapté de l'épopée : Soundiata Keïta, le réveil du lion, produit par le studio Afrikatoon43.

Résumé des Soleils des Indépendances

PARTIE 1

1) Le molosse et sa déhontée façon de s'asseoir.

Cote d'Ivoire, peuple des Malinkés. Fama Doumbouya, dernier descendant légitime des princes du Horodougou, est ruiné à la suite de l'indépendance de son pays. C'est ce qui le fait passer pour un colonialiste. Sa ruine le pousse à assister à toutes les cérémonies religieuses où il prononce des prières, afin de gagner sa vie en tant que griot. L'histoire s'ouvre donc sur l'enterrement de Ibrahima Koné et la description d'une croyance africaine selon laquelle l'ombre du défunt agit encore après sa mort. Le retour à la réalité est brusque avec la présentation soudaine et brutale du prince ruiné. Son parcours jusqu'au cimetière met en évidence la déchéance et la honte dont il est victime. Il est même désigné par le terme de "charognard" alors que le symbole des Doumbouya était la panthère. De nombreuses insultes "bâtards !" montrent son indignation d'être réduit aux mêmes galères que les pauvres, des "hyènes" et des "charognards". Métaphore du temps qui témoigne de cette union inhabituelle entre le noble et l'ignoble : "dégoûtantes, les entre-saisons de ce pays mélangeant soleils et pluies". 

Début de l'affrontement. Provocation gratuite du griot qui ose souiller le nom des Doumbouya en l'associant aux Keita (totem hippopotame : rien à voir avec la subtilité de la panthère). Humiliation publique de Fama qui se met en colère et devient le centre d'attention. La cérémonie funèbre devient lutte politique, affrontement public d'idéaux en décomposition. Cruauté, dignité, impulsivité de Fama. Contamination de l'énervement progressif ignoré par Fama, "enivré" par la colère. Deuxième provocation venant du peuple cette fois (un homme qui s'appelle Bamba) pour faire taire Fama. L'affrontement devient physique : témoignage de sa déchéance. Le prince répond aux provocations et se bat : il perd sa dignité. Puis retour soudain à la normale avec les excuses (on lui propose de l'argent). Il donne l'honneur pour prétexte, mais en acceptant l'argent, il tue cet honneur faussement revendiqué. Il est bafoué, il n'a aucune autorité : plus personne n'écoute le prince. Le déshonneur règne : anarchie politique, aucun respect pour la noblesse du sang.

 

2) Sans la senteur de goyave verte

Désir persistant d'affirmer son honneur. Description de la condition des noirs qui sont toujours esclaves des blancs. Lutte interne de Fama traduite par la multiplication des verbes pronominaux : "il se commanda", "il s'ordonna", etc. Métaphore filée du temps. Pluie = pourriture, déchéance / Sécheresse = dignité, noblesse, richesse. Détail de son passé : il était grand commerçant pendant la colonisation et il regrette donc ce temps. Mais il n'est pas colonialiste pour autant : haine naturelle contre les Français (la colonisation a apporté bien d'autres maux). La colonisation a tué le règne des Malinkés. Pour vivre, les Malinkés ont besoin de deux choses : le négoce et la guerre. La colonisation a tué la guerre et l'indépendance le négoce. Conséquences : stérilité des Malinkés. Donc l'indépendance est encore pire que la colonisation.

Passé personnel de Fama : il fut destitué de sa couronne très jeune par Lacina, qui lui-même se vit ruiné par les indépendances. La terre africaine est assimilée au corps de la femme : sensuel, fertile quand tout va bien, mais ici, pourri à cause de la pluie donc stérile. Humour noir à plusieurs reprises : "comme la feuille avec laquelle on a fini de se torcher", "lire et écrire n'est pas aussi futile que des bagues pour un lépreux". Moquerie légère sur les rites des Africains pour attirer la chance : "que n'a-t-il pas fait ?" Insistance sur la croyance en la Providence et en Dieu. Allusion aux dettes de Fama avec la mention de Abdjaoudi, l'usurier. Remèdes à la pluie : la mosquée et la prière, puis l'amour : Salimata, sa femme. Magnifique métaphore de l'amour et de l'agriculture page 28. Salimata s'inflige d'inutiles supplices (dans l'espoir d'attirer la fertilité). Fama la soupçonne de mal exécuter ces rites et donc il la "consomme" : le prince a clairement ses petites faiblesses.

 

3) Le cou chargé de carcans hérissés de sortilèges comme le sont de piquants acérés, les colliers du chien chasseur de cynocéphales.

Focalisation sur Salimata. La religion l'aide à accepter son destin de femme stérile. Mais accent sur les craintes et les déceptions d'une femme que son mari délaisse par le discours indirect libre "un éhonté de mari !". Fama est pour elle lié à un souvenir très douloureux : celui de son entrée dans le monde des femmes de la tribu, de la fin de l'enfance, lorsqu'elle se fit excisée (le clitoris est considéré comme impur). Deux temps de narration sont enchassés pour mettre en valeur la douleur gardée qu'elle porte en elle et sa rancoeur contre Fama, qui est décidémment un très mauvais mari (il ronfle, c'est exaspérant ; il veut un enfant mais manque à son devoir conjugal, etc.) 

Poursuite de la description du souvenir de son excision, qui fut pour elle un moment de honte et d'humiliation, puisque, contrairement aux autres filles excisées, elle ne supporta pas la douleur et s'évanouit, et ne put exécuter la danse triomphale du retour du champ d'excision. Chaque paragraphe décrit un peu plus précisémment un aspect qui n'avait été qu'évoqué dans les paragraphes précédent : plongée au coeur d'une conscience meurtrie. Elle raconte son premier viol et la douleur qui en découla. On lui a fait croire au génie de la fécondité, mais elle revient sur ses propres souvenirs, elle a des doutes et croit savoir qui l'a violée en vérité (elle soupçonne le féticheur Tiécoura). La description du féticheur traduit bien le dégoût et l'horreur qu'il lui inspire. Le souvenir plonge de plus en plus précisémment dans le passé de Salimata et l'on comprend pourquoi elle est stérile. Fama n'est pas son premier mari. Lorsqu'on lui a a attribué un mari après les trois semaines du rite suivant l'excision, Salimata était guérie, mais toujours traumatisée par son viol. La nuit de noces fut un échec. Elle se refusa à Baffi, son premier époux. Il voulait la violer, mais elle se défendait tant qu'elle aggrava son hernie dont il mourut quelques mois après. 

Description d'un accomplissement détaillé de son devoir de femme au foyer et témoignage de son énervement envers Fama, "toujours inutile, vide!". Explication de la légende noire de Salimata : "Une femme sans trou ! Une statuette !" que la jalousie du génie veut préserver de tout autre homme = une femme maléfique et chargée de malchance. Elle est promise au frère de Baffi, Tiémoko, qui voulait la violer sous la menace d'un couteau. Elle s'enfuit, "seule dans la nuit". On découvre alors une nouvelle facette de Salimata : son courage et sa rébellion. Pendant ses prières, elle supplie Allah de lui donner un Bébé à tous prix, même au prix de l'adultère... Puis Salimata commence sa journée de femme soumise après le départ de Fama (elle vend de la bouillie aux travailleurs). Une silhouette sur le chemin la renvoie de nouveau dans son passé. On comprend alors à quel point elle a aimé Fama, et que leur amour fut l'aboutissement de sa fuite. Ce passé est la description de l'âge d'or des Horodougous avant les soleils des indépendances, quand Fama était encore digne. 

Commence alors le travail de vente de Salimata en multipliant les allusions et manifestations religieuses. Monstration de sa  générosité parfois extravagante. Pendant le chemin du retour, on apprend que c'est à cause de son infécondité persistante que sa relation avec Fama s'est dégradée. Elle se sent incomplète sans maternité donc le couple et l'amour son incomplets. Un parallèle s'établit entre le mari et la femme : ils ont chacun leur honte, leur désespoir, leur rêve brisé. Un nouveau malheur s'ajoute à tous ceux qu'elle a déjà subis à sa "vie de malheurs", sa grossesse nerveuse. Grosse ressemblance dans les termes employés entre Fama et Salimata, "inutile et vide". Discussion banale de couplé lassé, amour entièrement consumé. Elle se souvient de leurs amours passées avec amertume. On apprend alors que Fama, lassé de la stérilité de Salimata, a commi le péché d'adultère, mais il semble en fait que ce soit lui le stérile... La chute politique coïncide avec le déclin de leur amour et ce fut le début de la fin.

 

4) Où a-t-on vu Allah s'apitoyer sur un malheur ?

Relations de Salimata avec les autres vendeuses de riz : elle est jalousée car elle est plus belle et elle a plus de succès que toutes les autres. Insistance sur l'agilité et la rapidité de Salimata en tant que vendeuse. Elle est bonne, généreuse, et n'hésite pas à se sacrifier, dans l'espoir qu'Allah entende ses prières. Mais la pauvreté touchant toute la population, elle se fait attaquer par ceux qui sont arrivés trop tard pour bénéficier des dons de riz de Salimata. Ils lui volent tout l'argent qu'elle a gagné et la tripotent un peu au passage. C'est sa générosité vaine qui en est la cause : elle a fait des demi-satisfaits. Salimata, devant son malheur, prend la décision de consulter son marabout, Abdoulaye. 

Retour sur la naissance de leur amitié, et sur le début des vues qu'Abdoulaye a sur Salimata. Il est comparé à un taureau du Guassoulou, "susceptible de tout pimenter plus que Fama et riche en connaissance comme en argent". On sent qu'elle aussi est plus ou moins sous son charme... Description des trois rituels pour invoquer les morts, appeler les génies et implorer Allah. Elle est pleine d'admiration pour lui et impressionnée par la magie dont il est capable. Il lui prescrit les sacrifices qu'il doit exécuter. Petite description physique de Salimata pour montrer combien elle est désirable : "elle provoquait le désir de vouloir la mordiller". La violence du sacrifice du coq fait brusquement remonter le souvenir horrible de l'excision. 

Insistance sur le fait qu'ils sont seuls et attirés l'un par l'autre un soir d'orage, après avoir partagé le sacrifice. Il commence à lui mettre dans l'esprit que c'est Fama qui est stérile et pas elle, et que la maternité est plus importante que la fidélité. Elle en a envie mais elle a peur car le viol est toujours présent. Elle voit en lui Tiécoura. Il essaie de la violer, elle se défend. Elle saisit le couteau du sacrifice et frappe Abdoulaye. Puis elle s'enfuit dans la pluie. Constatation de ses regrets : elle s'en veut, "ne sachant coucher qu'un homme stérile".

 

PARTIE 2

1) Mis à l'attache par le sexe, la mort s'approchait et gagnait ; heureusement, la lune perça et les sauva.

Mort de Lacina, le cousin de Fama. Le sacrifice du coq n'a pas évité le grand malheur qu'avait prédi Abdoulaye. Les Malinkés ensemble font oreuve de générosité envers le défunt. Fama s'en prend aux délégués syndicaux chargés du transport du corps avec un couteau en les traitant de bâtard (probablement des Français responsables des indépendances). Il veut retrouver la véritable dignité de la panthère Doumbouya. Sur le voyage (de la capitale vers le village de Togobala où se déroulent les funérailles), Fama rencontre Diakité, originaire du Horodougou qui avait fui à cause de l'indépendance, de l'arrivée du socialisme et du parti unique (LDN). Le père de Diakité (qui était de l'opposition au parti) fut contraint d'y adhérer et de payer un nombre exagéré de cotisations. 

Description du socialisme en Afrique : la jeunesse LDN commet attentats et sabotages, actes dégradants envers les membres de leur propre parti, dont Diakité : "la jeunesse LDN sortit, l'assaillit, le ligota, le déculotta, noua son sexe par une corde, et comme un chien le mit à l'attache" en faisant passer cela pour "la fin de l'exploitation de l'homme par l'homme". Le père de Diakité le défendit en tuant le secrétaire général du parti, son adjoint, le trésorier et deux autres membres. Et après avoir délivré Diakité, il fut fusillé. 

Autres exemples des conséquences du socialisme. Konaté, un Bambara, raconte sa ruine. Il n'est pas contre le socialisme, mais trouve le parti trop dur. Sery pense que la cause des malheurs et des guerres en Afrique, c'est le fait que les Africains migrent et chaque indigène voit la concurrence de peuples plus civilisés, plus doués s'installer. Les immigrants plus riches et plus reconnus sont en haut de l'échelle sociale, comme les Dahoméens et les Sénégalais. De plus, l'arrivée des pauvres et des fous n'apporte rien à l'économie et mendient : les Nogos font revenir les concessions "aussi puantes que les fesses de leurs rejetons qu'ils ne torchent jamais". Ils rachètent toutes les consessions, donc ce sont des étrangers qui gagnent de l'argent.

Salimata soupçonne Fama de ne jamais vouloir revenir à la capitale après son voyage au village. Il sait que son devoir est de diriger la tribu des Doumbouya et qu'on le lui demandera. Il sent qu'il ne pourra pas refuser son héritage. Il hérite du statut de chef, mais il hérite aussi des femmes de Lacina, dont Mariam (qui lui avait d'abord été promise et qu'il avait refusée).

 

2) Marcher à pas comptés dans la nuit du coeur et dans l'ombre des yeux (paroles d'une mélodie de noces malinkée que Fama fredonne plus loin).

Fama songe à la réaction de Salimata s'il épousait Mariam. Elle serait faussement empressée mais ne perdrait pas une occasion de mettre son ingratitude en évidence. Il envisage donc de rester au village. En arrivantau village, Fama est traité comme un dieu, mais il n'a pas le droit de parler de politique (c'est interdit par le parti) donc il se renseigne sur les nouvelles du village. Insomniaque, Fama essaie de se convaincre d'être digne des Doumbouya. retour sur son ancêtre, Souleymane Doumbouya (Moriba). Il était marabout et son arrivée chez les Toukoro avait été prédite par un oracle. Souleymane bâtit à côté des Toukoro un grand campement appelé Togobala "dont Fama restait l'unique légitime descendant". Togobala prospéré et conquit le Horodougou. Mais les conquérants (malinkés musulmans du nord) proposent à Bakari, descendant de Souleymane, d'avoir la puissance (qui serait illégitime). Bakari veut y renoncer car il craint la malédiction, mais poussé par une "voix", il prend le pouvoir sur le Horodougou, scellant la fin de la dynastie Doumbouya en provoquant la malédicton annoncée : la stérilité de Fama. Insistance sur sa peur des autres, de lui, de disparaître. 

Incident lors du voyage : Fama se sent destitué de sa dignité lorsqu'un bâtard exige sa carte d'identité pour passer la frontière. Fama a quand même fini par arriver au village natal, décrépi, et entouré de "vautours". On lui souhaite la bienvenue puis commence le rituel des lamentations pour le défunt (les pleureuses). Puis le vent les effraie et les fait taire. Fama en a marre des lamentations car le Coran dit qu'il ne faut pas pleurer les morts, que c'est inutile.

 

3) Les meutes de margouillats et de vautours trouèrent ses côtes : il survécut grâce au savant Balla.

"Les Malinkés ont la duplicité parce qu'ils ont l'intérieur plus noir que leur peau et les dires plus blancs que leurs dents." Fama n'a pas respecté la coutume mais il se place devant la case de Lacina pour faire croire qu'il y a dormi. Il contemple son modeste héritage qui lui semble de plus en plus précaire. Le griot fidèle à la famille, Diamourou, raconte à Fama son secret : sa fille Matali fut choisie par Tomassini (premier commandant du cercle). Mais courageuse, elle refusa l'acte sexuel forcé et s'enfuit. Elle fut ramenée et engrossées de force. Très belle, elle s'épanouit dans la maternité et dans le commerce. Elle n'a jamais oublié ses parents, elle envoie régulièrement de l'argent à Diamourou. Fama l'estime davantage que son cousin Lacina.

Création d'un suspense car la discussion sur Lacina est rapidement interrompue par les salueurs. Les salueurs sont d'autres dynasties plus ou moins liées aux Doumbouya. Il se sent puissant. Balla est une affranchi, vieux et aveugle, de la famille des Doumbouya. Il consulte les fétiches et tue les sacrifices, tout le monde se moque de lui et Diamourou le déteste (car ils sont égaux socialement et de vécu). Balla se fait de l'argent sur les croyances des gens. Balla comme Diamourou, l'essence des Doumbouya, se battent pour leur idéal : réhabiliter la chefferie et voir brûler les indépendances. Fama, pour reconquérir son pouvoir, dispose donc : d'un sorcier, d'un griot, d'un peu d'argent et d'appuis politiques. Il ne lui manque que l'envie et la conviction.

Fama Doumbouya doit prononcer un dernier palabre pour Lacina : Balla veut participer, Fama refuse. Ambiance fétide et morbide du cimetière : "tout porte à la fois mort et vie" (page 117). Fama se recueille sur la tombe de ses parents mais tous les animaux portent la mort (vautours, margouillats, charognards). Nuit grouillante de cris de bêtes et d'esprits. Fama fait des cauchemars mais Balla chasse les ennemis avec des incantations. Mais les prières sont insuffisantes : nécessité de faire des sacrifices. 

 

4) Les soleils sonnant l'harmattan et Fama, avec des nuits hérissées de punaises et de Mariam, furent tous pris au piège ; mais la bâtardise ne gagna pas.

Description d'un matin au village, de l'attitude irréprochable de Fama et des rites du féticheur Balla. Balla critique la qualité des harmattans d'aujourd'hui, ce qui amène le récit de "comment Balla devint-il le plus grand chasseur de tout le Horodougou ?" Un génie chasseur apparut à Balla pour lui proposer un accord. Il guidera Balla et rassemblera tous les animaux sauvages devant lui. En contrepartie, le génie aura la droit de tuer Balla à n'importe quel moment. Balla assomme donc tous les palabreurs avec ses histoires triomphantes de chasse. Quelques exemples sont racontés (insistance sur la sagesse et le sang-froid de Balla). Balla voulait trouver le Kala de son génie chasseur pour le tuer avant de se faire tuer (Kala = objet propre à chaque individu avec lequel "on éteint la vie dans le corps"). Il finit par le trouver : un grain de crottin de chevrotin aquatique. Et il le tua.

Retour à la réalité. Mauvais sommeil de Fama. Enumération de ses soucis : il a d'abord des soucis d'argent. Il doit être généreux mais il est trop pauvre pour honorer convenablement son devoir de prince : il se sent humilié. Il a également des soucis de solitude. Il pense à Mariam dont il est tombé amoureux dès qu'il l'a vue (description de sa beauté, de sa sensualité). Il ne pense plus du tout à Salimata. Diamourou lui répète d'épouser Mariam car malgré son infidélité et sa malice, elle est très fertile. Enfin, Fama se soucie de l'interrogation du président du village et du comité (Babou) avec le parti unique et le sous-préfet. Petites notes d'ironies : "du sous-préfet, de la contre-révolution, de la réaction, mais c'était grandement grave !", "C'était grave et aussi embarrassant qu'un boubou au col trop large". Diamourou et Balla influencent son discours. Fama est le seul réactionnaire, un "horrible contre-révolutionnaire" du village. Les villageois n'assument pas. Au Horodougou, seules la fraternité et l'humanisme doivent régner.

Pourtant, une confrontation politique se prépare (lundi et mardi). Les villageois vont d'un palabre (celui de Fama) à l'autre (celui du parti). Le mercredi, la rencontre politique a lieu. Insistance ironique sur l'hypocrisie exagérée des coutumes : les salutations durèrent "le temps de faire passer par un lépreux un fil dans le chas d'une aiguille". Déroulement de l'assemblée : palabre préfaciel des griots, puis palabre de Babou (rusé fils d'esclave) qui fait passer Fama pour un dangereux militant colonialiste, puis flot de flatteries  ("Babou aurait conquis les villageois"), puis palabre de Fama, concis, digne, rapide. Sentence du délégué : Fama doit s'humilier en jurant à genoux fidélité au parti. Diamourou s'y oppose. Convocation des Anciens devant les mânes des aïeux. Il est décidé que Babou serait le président officiel et Fama seulement le chef. Réconciliation. Togobala reste uni.

 

5) Après les funérailles exaucées éclata le maléfique voyage.

Description du rite des funérailles d'un Malinké. Avec la pauvreté, les morts sont bien moins accueillis dans l'au-delà. Pour Lacina, on réussit à acquérir quatre boeufs. Tous les habitants du Togobala sont présents. Préparation des marches, de la nourriture, des sacrifices, etc. Lecture du Coran, communion, palabre des griots, présents offerts par les grandes familles. Puis sacrifice des boeufs. Insistance sur le sang qui coule page 141. Défense des sacrifices contre les chiens, puis contre les charognards. Puis partage de la viande rouge. Puis réjouissances. Tours de magie des chasseurs qui ont conclu des pactes avec des génies. Diamourou et Balla décomptent les "innombrables signes des funérailles exaucées".

Le voyage retour de Fama vers la capitale porte un sort maléfique. Il ne veut pas partir car au village il a l'honneur, l'argent et le mariage. Mais il faut qu'il parte, alors il emmène Mariam avec lui. Ils s'en vont à pied.

 

PARTIE 3

1) Les choses qui ne peuvent pas être dites ne méritent pas de noms.

Arrivée dans la capitale. Salimata accueille chaleureusement Mariam. Mais petit à petit Mariam gêne Salimata dans ses rites censés attirer la fécondité, et Salimata, jalouse, croit voir le ventre de Mariam pousser. Elles se disputent et en viennent aux mains. Une nuit d'amour entre Fama et Mariam, Salimata entend le tara grincer et cela la rend folle.

D'un point de vue politique, "le pays couvait une insurrection". Fama n'en est pas mécontent, il souhaite voir tomber les fils d'esclave qui sont au pouvoir. Les fétiches le prédisent (les Malinkés pratiquent la divination). Oracles de Togobala : hyène et boa. Usage de l'imparfait pour montrer que l'intervention et l'interprétation des oracles a lieu régulièrement. Exemples de leur efficacité : l'épidémie de peste a frappé tout le Horodougou sauf Togobala. Or les dirigeants des soleils des indépendances ignorent les oracles. Ils ne consultent que les sorciers et marabouts à des fins uniquement personnelles. 

L'insurrection débute : répression du parti. Délibération du conseil des ministres à l'issue de laquelle quatre ministres sont emprisonnés. "La politique n'a ni yeux ni oreilles ni coeur : en politique, le vrai et le mensonge portent le même pagne, le juste et l'injuste marchent de paire, le bien et le mal s'achètent et se vendent au même prix". Disparition de trois amis de Fama qui s'étaient enrichis avec l'indépendance. Bakary est arrêté et doit subir un interrogatoire, tout comme Fama. Prison, torture, jeûne, mais Fama y survit. Ils sont internés dans un camp qui ne peut porter de nom tant il est ignoble, et qu'ils ne parviennent pas à situer. Conditions de vie insalubres, pathogènes, mortifères. Tout s'exécute la nuit. Une nuit, Fama est déporté dans une caserne. Usage constant du passif et de la troisème personne indéfinie pour montrer qu'on ne sait pas ce qu'il lui arrive.

Casene de Mayako où s'instruit l'affaire et où le jugement aura lieu. Description de la caserne le matin du jugement. On vérifie son identité puis on lui demande quels étaient ses rapports avec Nakou, l'ancien ministre, considéré comme tête du complot contre le parti. Fama le connaît, mais à part ses rapports avec les femmes, il ne sait pas grand-chose de Nakou. Fama raconte un rêve qu'il a fait où une femme lui avait dit que Nakou devait tuer beaucoup de sacrifices pour qu'il puisse s'en sortir plus tard, pour démasquer et honnir les intriguants.

Les juges accordent beaucoup d'importance à ce rêve. Fama est inculpé de "participation à un complot tendant à assassiner le président et à renverser la république". On lui reproche de n'avoir pas été raconter son rêve plus tôt et on lui apprend que Nakou s'est suicidé. Fama se prépare à ce qu'il va dire pour sa défense le jour du jugement. L'interprête traduit les instructions du juge. Il les insulte, les humilie et leur donne leur peine. Fama est condamné à vingt ans de réclusion criminelle. Début de sa vie de condamné. Aucune défense, aucune rébellion possible. Il regrette de n'avoir pas écoute Balla mais reconnaît sa défaite contre les soleils. Il attrape le vers de Guinée et vieillit, malade.

 

2) Ce furent les oiseaux sauvages qui, les premiers, comprirent la portée historique de l'évènement.

Fama continue de prier. Il ne regrette qu'une chose : n'avoir pu se faire pardonner de Salimata. Il espère encore être enterré dans le Horodougou comme lui avaient prédi les devins. Un jour, les gardes lui donnent des habits neufs et lui demandent de les suivre pour assister au discours du président. Discours humaniste et très républicain. Il demande aux prisonniers de pardonner et il les libère tous. Il souhaite apparemment instaurer de nouvelles valeurs plus stables (bonté, douceur, patience, justice) page 174. Remise de l'argent. Départ immédiat pour la capitale.

Sur la route, Bakary suggère à Fama d'aller se refaire une santé à Vichy ! Salimata ni Mariam ne viennent chercher Fama. Il envisage de se trouver une autre femme. Salimata est partie avec Adboulaye. Mariam avec son chauffeur de taxi. Bakary, fidèle  à Fama, l'avait menacé de sa frivolité. Bakary lui parle ensuite de ce qu'il s'est passé à Togobala après son arrestation. Balla est mort dans son sommeil. Funérailles grandioses (quatre boeufs sacrifiés).

Fama descend de voiture en plein milieu du trajet. Bakary essaie de le retenir. Fama ne l'écoute pas et monte dans un camion. Bakary lui reproche d'être un mauvais ami. Fama se moque de lui et se félicite de l'avoir tourné en dérision par son silence. Fama veut partir car il sait que personne ne veut de lui dans la capitale. Il veut aussi permettre à Salimata d'être enfin heureuse avec un autre homme. Il part dans le Horodougou avec l'objectif d'y mourir le plus tôt possible, car telle est sa destinée. Arrivé dans le Horodougou, personne ne l'accueille mais il s'y sent bien. Une foule se forme autour d'un homme en uniforme, Vassoko. Il explique que la frontière est fermée depuis un mois à cause de la tension entre les deux pays.

Fama va lui parler, se présente et demande à passer pour assister aux funérailles de Balla. Mais Fama n'a aucune pièce d'identité et en plus, il est un ex-détenu politique. Il se met en colère devant le refus de Vassoko. Il franchit les barbelés fièrement et incite la foule à le regarder partir. Vassoko empêche les gardes de le tuer. Mais Fama est dans une impasse et Vassoko le rattrape. Alors Fama escalade le parapet et saute parmi les caïmans sacrés qui commencent à l'attaquer. Un garde tire sur le crocodile. Les oiseaux attaquent la terre. Les fauves et les crocodiles s'enfuient. D'autres coups de feu retentissent. Fama est grièvement blessé. L'ambulance le ramène à Togobala. On découvre qu'il n'a pas été touché par une balle mais par la morsure d'un caïman sacré, ce qui prouve qu'il est un grand chef. Fama meurt alors, à quelques kilomètres de Togobala. 

RESUME DU ROMAN

AVENTURE AMBIGUË (l'). Roman de Cheikh Hamidou Kane (Sénégal, né en 1928), publié à Paris chez Julliard en 1961.

"De manière significative, L'aventure ambiguë, histoire d'un itinéraire spirituel, porte en sous-titre récit. Ce qui frappe en effet le lecteur de ce livre, c'est le classicisme dû autant à la retenue du ton qu'à la portée universelle de la réflexion philosophique. Sans doute l'auteur oppose-t-il à la pensée technique de l'Occident, essentiellement tournée vers l'action, la pensée de l'Islam, repliée sur elle-même, mais au-delà de cette confrontation c'est finalement le problème de l'existence qui est posé. On voit par là comment Cheikh Hamidou Kane, échappant à la donnée temporelle et politique de son sujet, l'angoisse d'être noir, débouche sur une réflexion qui nous concerne tous : l'angoisse d'être homme."

Écrit en 1952, mais publié seulement neuf ans plus tard, ce roman d'inspiration autobiographique est étudié dans tous les lycées, collèges et universités d'Afrique; il est aussi l'un des livres de ce continent les plus célèbres dans le monde.

Synopsis

Première partie. Samba Diallo est un enfant qui a été confié par son père, Le Chevalier, au chef de la tribu des Diallobé afin qu'il suive l'enseignement d'un sévère maître d'école coranique, Thierno. Ce dernier a très vite repéré chez l'enfant des qualités exceptionnelles. Alors qu'il est arrivé à l'âge de se rendre à l'école européenne, les avis sont partagés: le chef des Diallobé hésite à l'y envoyer, le maître d'école le déconseille vivement et la Grande Royale, sœur du chef, y est au contraire favorable. Suivant les recommandations de la Grande Royale (afin qu'il apprenne à "vaincre sans avoir raison"), Samba Diallo fréquente l'école européenne, s'y montre excellent élève, apprend très vite et se voit proposer de poursuivre ses études à Paris.

Seconde partie. À Paris, Samba Diallo vit très mal son isolement et son déchirement entre ses deux cultures. Il rencontre Lucienne, une communiste, et Pierre-Louis, un avocat antillais militant, avec lesquels il débat de la confrontation et du bien-fondé de l'interpénétration des cultures. À la demande de son père, il regagne l'Afrique. Il rencontre un homme, devenu fou après un séjour en Europe, qui lui propose de prendre la succession du maître Thierno, décédé. Mais Samba Diallo a abandonné la pratique religieuse. Le fou poignarde Samba et met ainsi fin à l'ambiguïté de son aventure.

Résumé du roman : le vieux nègre et la médaille.

 

« Le vieux nègre et la médaille »

Ferdinand OYONO 
Éditions Julliard (1956)

Le vieux nègre et la médaille publié en 1956 est une sorte de prolongement d’Une vie de boy. Dans celui-ci le narrateur-héros est un naïf enfant africain, dans celui-là, le héros, Meka, est une adulte toujours naïve victime ainsi de la duplicité des Blancs. Ce roman publié durant la décolonisation est ainsi fortement inscrit dans son contexte ce qui lui valut son succès mérité. Il est donc intéressant d’en saisir l’intérêt qui reste très actuel au moment où on parle des tirailleurs et de leur rétribution, de réparation, de souvenir, de pardon pour tout ce que le Blanc a fait aux peuples africains. La vie d’Oyono, on le sait, a été une influence dans son œuvre. Partir d’elle pour comprendre le texte semble être une voie obligée. A la suite, après avoir explicité le titre, on résumera l’histoire, et puis voir les personnages, les thèmes, l’écriture et la signification de l’œuvre.

IUne vie de boy, publié en 1956, est centré sur le personnage de Joseph, boy du commandant blanc. Il y fait la critique et la démythification du des Blancs dont les traves sont mis à nu par le récit du narrateur enfant.
Le vieux nègre et la médaille, publié en 1956,
Chemin d'Europe, publié en 1960, raconte l'exploration plus ou moins du monde des Blancs dans une métropole africaine par un jeune homme qui veut se couper de ses racines et rêve d'Europe malgré les avertissements de son père.

II. La signification titre

Le titre choisi illustre bien cet esprit ironique et d’autodérision. L’auteur utilise le mot « nègre » terme péjoratif de connotation raciste ce qui peut paraître surprenant venant d’un écrivain noir en opposition avec le terme « médaille », terme positif, appréciatif. L’humour et l’ironie sont donc d’emblée présents dans le titre qui résume par-là l’histoire du roman. Le nom « vieux » sans la présence du personnage dont il s’agit dans le roman montre une volonté universalisante de l’auteur pour mettre l’accent sur le contraste entre l’expérience et tout ce que des générations africaines ont fait : sa vie, la vie de ses enfants, ses biens, son cœur pour mériter non pas des médailles mais « une médaille ». Et quelle médaille : Méka sera bastonné la nuit même du jour qu’il a reçu cette médaille par ceux-là qui la lui ont donnée.

III. Résumé

Au début du roman, Meka doit visiter le commandant de son pays Doum et il pense que le commandant va le tuer. Mais en fait, Meka va recevoir une médaille en reconnaissance de son dévouement pour la France, d’être par conséquent « un ami des blancs. ». En effet, ses deux fils sont en combattant pour les français durant la seconde guerre mondiale et il a donné ses terres à la mission catholique. Durant la remise de la médaille le jour de la fête nationale française le 14 juillet, sa femme pleure ses deux fils et lui. Après le vin d’honneur, tous les noirs sont devenus ivres et M. Varini appelé aussi Gosier-d ‘Oiseau fait évacuer la salle du Foyer Européen. Dans la panique, on oublia et enferma le ivre Meka qui dormait à l’intérieur. L’orage éclate en ravageant la salle d’où sortit Meka titubant. Il perd sa médaille en allant chez Mami Titi. Il est arrêté dans la nuit, brutalisé et maltraité par des policiers trop zélés avant d’être conduit dans une prison o il sera encore humilié par Gosier d’Oiseau de qui il attendait une reconnaissance. Pendant le roman, Meka essaie d’aider des blancs et il suit des règles. Meka rentre chez lui et plonge toute la famille dans la stupeur causant pleurs et lamentations. Il se rend compte qu’il est un esclave des blancs, mais il n’essaie pas de combattre contre eux parce qu’il dit en bâillant : « Je ne suis plus qu’un vieil homme... »..

IV. Les personnages

Mis à part le héros Meka et quelques personnages, tous les autres personnages sont des personnages de faire-valoir, des silhouettes qui peuplent le roman. D’ailleurs certains personnages étaient déjà présents dans Une Vie de boy. Ils sont souvent des « personnages types » qui assument les caractères ou les souffrances d’une classe sociale, les indigènes, dont leurs rôles sont définis par la colonisation.
Meka est le héros. C’est un vieillard qui a fait la seconde guerre mondiale. Maintenant il vit tranquillement avec sa famille, même s’il a perdu ses deux fils à la guerre. Il offre ses terres à la mission catholique et a une fois à la nouvelle religion. Il est aimé du village de Doum et de sa famille qui l’assiste dans les meilleurs moments comme dans les pires, ainsi qu’il en est lorsqu’il a été maltraité par les policiers blancs.
Il y a sa femme Kelara, qui souffre pour ses fils perdus, mais aussi elle est toujours inquiète lorsque les blancs appellent son mari. Engamba le frère de sa femme et son épouse Amalia, Mvondo son neveu. Ses amis Nua et Nti. Mami Titi tient quant à elle un bar à la périphérie du quartier des indigènes, elle est également âgée.
On aussi le catéchiste africain, André Obébé qui sera chassé de la maison de Meka lorsque les blancs l'ont malmené. Le boy, et l’interprète qui sont ici des intermédiaires incontournables pour le service et la l’inter compréhension. Le tailleur Ela est un personnage « grossier », « fat » et « prétentieux » qui travaille le grec Angelopoulos ; Evina est aussi un ancien cuisinier des prêtres.
Les personnages du monde européen sont souvent caricaturés à l’image du Commandant de Doum qui va annoncer à Meka qu’on va lui remettre une médaille. Et le Chef des Blancs qui viendra de Timba.
Le Haut-commissaire de police M. Varini, surnommé Gosier-d’Oiseau, certainement à cause d’un cou qui ressemble à celui d’un oiseau, l’administrateur et organisateur de la cérémonie M. Fouconi que le narrateur décrit ainsi : « un jeune aux formes arrondies, à l’abondante chevelure noire et au large bassin que les Noirs avaient surnommé « l’à-côré-presque-femme » (p.98), le père Vandermayer. Le commerce est géré par les grecs Pipiniakis, Angelopoulos et Mme de Monroti avec la « buveuse de thé ».
Des régisseurs ou gardes de prison

V. Etude de quelques thèmes

L’œuvre aborde différents thèmes tels que l’alcoolisme, le christianisme, le colonialisme, la famille, la femme, la fête, la guerre, l’inégalité ou la ségrégation, le racisme, la tradition, la vieillesse, etc. A travers les thèmes qu’on a choisis d’étudier on constatera que les autres y sont inclus.

1. Le christianisme

Ce roman décrit les mésaventures du vieux Meka au sein de l’appareil colonial de son pays Pour le récompenser d’avoir donné ses terres à l’Eglise et ses deux fils à «la guerre où ils ont trouvé une mort glorieuse pour la France », le Haut-commissaire décide de l’honorer de la médaille de l’amitié euro-noire à l’occasion de la fête du 14 juillet. D’où le titre du roman.
Mais, au fait, la médaille est un prétexte que se donne Oyono pour révéler, à sa manière, la nature des rapports qui existent entre colonisateurs et colonisés dans la petite localité de Doum, lieu de l’action. L’action des missionnaires n’est différente de celle de leurs congénères laïcs. Oyono insiste d’une manière particulière sur le rôle inhibiteur de la religion catholique, véritable « opium du peuple », facteur d’assujettissement et de duperie. Sous le prétexte qu’elles «ont plu au bon Dieu», les missionnaires ont pris les terres de Meka. De plus, les ouvriers indigènes qui travaillent sur ces terres reçoivent pour tout salaire «le merci du prêtre, la communion ou la grâce et l’indulgence du bon Dieu ». Pourtant, même la confession n’est pas gratuite de l’autre côté! Oyono évoque aussi la ségrégation raciale que pratique l’Eglise à la Sainte Table et au Cimetière. Bref, cet écrivain jette un doute systématique sur les bonnes intentions de ceux qui prétendent sauver l’âme noire de la damnation. Il y est mis dans le même sac, laïcs et missionnaires blancs.

2. L’alcoolisme

Il joue un rôle important dans le roman. Instrument de ségrégation, l’alcool permet au narrateur de montrer que le Blanc dispose toujours pour les Noirs d’un succédané et garde le bon produit pour lui. Ainsi en est-il lors de la fête où le whisky circulait uniquement pour les Blancs. Aussi se sont-ils même retirés au Cercle Européen (p.126) chez Pipiniakis pour faire la fête. L’alcool représente également un moyen d’exploitation : on interdit la bière locale à base de banane ou de maïs pour écouler le vin importé de France. Et le prêtre se ravitaille chez les noirs en vin. (p.15) Par ailleurs, pour commettre leurs injustices, les blancs font soûler les indigènes.

3. La vieillesse

Cet âge est aussi important dans cette histoire. Le héros Méka en est un. Et beaucoup de personnages aussi comme ses amis naturellement. Ils sont tellement vieux qu’on ne connaît leur date de naissance, comme « Nua qui était comme lui sans âge. Il était sec comme une viande boucanée et avait la mâchoire continuellement en mouvement ». Il y avait aussi Nti qui était atteint d’Eléphantiasis. (p.24) Pour se convaincre on verra même que dès trente ans, Mvondô qui était le fils de sa sœur ressemblait à un vieux car n’ayant plus de cheveux, il était « comme un vieux lézard » (24)
Aussi le manque de respect et les brimades que lui font subir les policiers sont condamnables, et en Afrique le vieux est respecté. Cela témoigne de la cruauté et de la méchanceté des Blancs.

VI. L’écriture

1. L’humour et l’ironie dans le vieux nègre et la médaille

L’humour concerne tous les personnages, alors que l’ironie est faite plus souvent envers les Blancs. Dans l’ironie on voit l’implication du narrateur, alors que l’humour est entièrement prise en charge dans l’œuvre par les personnages.
On tourne en dérision notamment l’imposture, l’hypocrisie et le mensonge de l’entreprise coloniale dont sont victimes les indigènes du village de Doum, particulièrement Meka. Ainsi sont mises à nu la duplicité et la méchanceté de l’homme blanc, à travers ses représentants : le commissaire Gosier-d’Oiseau, le Révérend Père et le Commandant.
Le lecteur a plaisir à voir, par endroits, la façon dont certains personnages traitent les choses importantes tel cet interprète noir qui traduit le long discours du haut commissaire : « le grand chef blanc dit qu’il est très content de se trouver parmi vous, qu’il dit merci pour le bon accueil que vous lui avez fait. Puis il a parlé de la guerre que vous avez faite ensemble contre les autres Blancs de chez lui… et il a terminé en disant que nous sommes plus que ses amis, nous sommes ses frères, quelque chose comme ça… ». L’auteur utilise l’ironie pour faire une critique implicite de la colonisation. Même quand Meka parle on ne peut s’empêcher de sourire : «Ils ont de la chance de ne pas souffrir dans leurs chaussures » (p.100), façon de montrer qu’il ne se sent pas bien dans la culture adoptée.
Les sacrifices de Meka pour la nouvelle religion sont salués par son peuple dans un humour gai : « Pour les chrétiens de Doum, Meka était un grand favori dans la course au paradis » (p.17)

2. L’écriture mascarade

La fête nationale de la France du 14 juillet n’est rien d’autre qu’une mascarade pour encore une fois rappeler la domination de la puissance coloniale. La caricature de Meka dans son habillement européen, dans lequel il se sent mal à l’aise et en souffre au niveau des souliers montre que cette culture que ces noirs essaient d’arborer ne leur va pas.
Les proverbes dans le récit donnent une couleur locale à l’histoire. Le peuple africain dilue sa sagesse dans les proverbes : « Si ton cœur se met à battre en arrivant au terme de ton voyage, rebrousse chemin » (p.176) dit Engamba qui cherchait Meka au quartier des Blancs.
« La bouche qui a tété n’oublie pas la saveur du lait » (p.17)

3. Le merci du Blanc

L’hypocrisie du Blanc se comprend par le mot merci quand on considère le verbe « remercier » qui est polysémique. Il s’agit au-delà du fait qu’il signifie la bénédiction d’une action, d’une action de chasser quelqu’un poliment souvent. Ainsi en est-il de Meka qui reçoit de la part du Blanc suite à ce qu’il a fait pour eux, une médaille en fait de remerciement dans le sens de « on n’a plus besoin de toi car tu es vieux et tu n’as rien a donné ». Cela se confirme avec les visites du père de la mission catholique

VII. Portée de l’œuvre

Ce que Meka a fait est une sorte d’échange. En effet, du moins tel semble être le sens que lui donne la voix qui avait parlé dans le public : « Moi, je dis qu’on aurait mieux fait de l’habiller de médailles ! (...) Ce qu’a compris la femme de Meka Kelara. Le narrateur semble accuser alors la complicité des africains qui ont favorisé l’implantation des européens à travers les personnages de Meka. Aussi le sort de ce dernier est de souffrir l’ingratitude de la France, comme ce fut le cas pour Meka.
Il est alors compréhensif de noter la contradiction entre les valeurs que le haut commissaire défend dans son discours à savoir l’égalité et la fraternité entre tous les hommes et la réalité vécue par Meka qui croyait à l’amitié des Blancs jusqu’à les inviter prendre un repas chez lui. Parce que le haut commissaire Gosier d’Oiseau l’a humilié, celui-là même qui dans Une vie de boy avait battu jusqu’au sang le boy Toundi. Sans oublier la ségrégation lors du service du vin d’honneur : ils eurent du vin rouge alors que les Blancs buvaient du whisky. Les quartiers étaient séparés, et on malmenait un indigène qui osait franchir la frontière qui les séparait sans demander la permission. Le beau-frère de Meka failli en subir les conséquences en allant chercher celui-ci chez le commandant.

"Il avait eu la grâce insigne d’être le propriétaire d’une terre qui, un beau matin, plut au bon Dieu. Ce fut un père blanc qui lui révéla sa divine destinée. Comment pouvait-on aller contre la volonté de Celui-qui-donne ? Meka qui, entre-temps, avait été recréé par le baptême, s’effaça devant l’huissier du Tout-Puissant."

Le vieux nègre. Ce vieux Meka. Retraité militaire de la première guerre mondiale. Nous rions de lui, au début. Nous rions de lui et de ses congénères. Au début. Tous ces pauvres hères que l’annonce d’une récompense “médaillante” faite à Meka, met en ébullition. 
Méka. Homme entre deux âges que les colons catho ont transformés en "bon" chrétien, tout acquis à la cause religieuse. Le vieux ne se sent plus de joie quand l’administration coloniale lui annonce sa prochaine décoration par "le chef des blanc".

Il avait eu la grâce insigne d’être le propriétaire d’une terre qui, un beau matin, plut au bon Dieu. Ce fut un père blanc qui lui révéla sa divine destinée. Comment pouvait-on aller contre la volonté de Celui-qui-donne ? Méka qui, entre-temps, avait été recréé par le baptême, s’effaça devant l’huissier du Tout-Puissant.

 

Dans la première partie de ce « Vieux nègre et la médaille » de Ferdinand OYONO, nous avons le portrait caustique des habitants de Doum, ainsi que leurs voisins, dont la naïveté de nègres colonisés montant en épingle la "reconnaissance de l’ami blanc" nous tire des sourires condescendants. 
Nous sourions, nous, lecteurs avachis dans nos moelleux conforts de lettrés occidental – ou assimilés –, à des années-lumière de ces réalités. Nous sourions, en imaginant cette société ancienne qui marie Kélara à Méka avec une décontraction qui révulse

"Voilà ta femme, lui avait-il dit. Tu pourras venir la chercher quand elle sera à point"

Nous sourions, imaginant Engamba, le beau-frère, ainsi que son épouse Malia, marcher nuit et jour vers Doum afin de participer à la gloire du médaillé

- Et toi, ici, intervint Mbogsi, s’il t’arrive quoi que ce soit, il te suffira de dire au commandant que tu es le beau-frère de celui qu’est venu décorer le Chef des Blancs
 ça, c’est la vérité, ponctua l’étranger. Ta famille, tes amis, les amis de tes amis seront désormais des privilégiés. Il leur suffira de dire : "je suis l’ami de l’ami du beau-frère de Méka" pour que toutes les portes leur soient ouvertes. Moi-même qui vous parle, je me sens un peu décoré...

Nous sourions, en imaginant Méka dans sa veste trop grande, taillé "à la mode de Paris" par Ela ventru et grossier, auto-proclamé maitre-couturier.

Nous sourions. Jaune. Agacement et grimace devant cette seconde partie du livre qui nous met mal à l’aise, mal dans nos baskets de noirs à la culture mondialisé, devant ces africains trainés dans la boue par la froide administration coloniale.

Il réalisa qu’il était dans une situation étrange. Ni son grand-père, ni son père, ni aucun membre de son immense famille ne s’étaient trouvés placés, comme lui, dans un cercle de chaux, entre deux mondes, le sien et celui de ceux qu’on avait d’abord appelés les “fantômes” quand ils étaient arrivés au pays. Lui, il ne se trouvait ni avec les siens ni avec les autres. 
Il se demanda ce qu’il faisait là. Il aurait bien pu attendre avec Kelara qui était sûrement dans la foule qui piaillait derrière lui et on l’aurait appelé pour lui donner la médaille quand le Chef des Blancs aurait été là. Mais quelle drôle d’idée avait eu le Chef des Blancs de Doum de le placer dans un cercle de chaux ! Voilà une heure qu’il était là, et peut-être même plus. Le grand chef des Blancs n’était pas toujours là.

Nous sommes mal dans nos sourires, tirés par ce Méka narrateur au regard non dupes, au détachement ironique devant ces "remerciements des blancs" qui signifient mise au détritus, après bons et loyaux services rendus à la patrie. 
Le retour de bâton de l’inhumain coloniale qui n’a aucun égard pour ces indigènes, le regard sardonique de Méka devant l’attitude de ceux qui partagent sa condition d’indigène et qui voient sa dégringolade après qu’ils l’aient cru arrivé au sommet des gloires blanches. Tout cela nous met mal à l’aise, nous met en colère et l’idée de la solidarité africaine qui résiste à tout suffit à peine à nous apaiser.

« Le vieux nègre et la médaille » est ce genre de livre dont on se délecte tant est fluide l’écriture, omniprésente l’humour et éclairante la compréhension que l’on a, in finé, des vies coloniales. C’est un livre qui nous remet au cœur de l’injuste de ces années dont la banalité quotidienne, violente, se perd déjà dans le brouillard du temps. 
Une grande œuvre, dont le propos n’a pas vieilli – ce qui participe peut-être au malaise du lecteur – et qui constitue un de ces ciment du souvenir dont les hommes ont besoin que jamais l’histoire ne se répète. Vœux pieu. 

 

Conclusion

A travers Le vieux nègre et la médaille, c’est une sorte d’opposition classique chez Oyono qu’on vient de voir : la traditionnelle opposition un Noir naïf qui croit à l’amitié des Blancs hypocrites et sournois. C’est surtout l’ironie et l’humour caractéristique de l’écriture d’Oyono qu’on lit ce texte simple mais très dense. Ce livre de moins de deux cent pages résume les spécificités culturelles africaines et occidentales mais aussi les caractères et comportements de ces deux peuples à travers des thématiques variée à la fois traditionnelles que modernes. Cette médaille de Meka n’est-il pas le symbole des visites de chefs d’Etats Européen ? Des aides répétés qui n’ont aucune valeurs comparées au mal qu’ils ont fait subir aux africains ?

Lexique :

Autodérision : faire une plaisanterie, une moquerie, une raillerie visant sa propre personne.

 

Mascarade : fête de carnaval avec déguisement

L'étrange destin de Wangrin
de Hampâté Bâ
Aux Editions 10/18
Un classique incontestable et indispensable.

 

Wangrin est un interprète de l’administration coloniale dans les années 1910.

Il est issu de « l'école des otages » ainsi nommée par la-dite administration car on y envoyait de force tous les fils de chefs pour leur donner un enseignement de qualité et créer ainsi une élite moderne tout en calmant les éventuelles ardeurs contestataires.

À l'époque, le rôle de l'interprète était majeur. Muni d'un « certificat d'études primaires indigènes » et maîtrisant plusieurs langues africaines en dehors du français, Wangrin sut s'attirer la confiance du commandant de région et joua un rôle important en lui servant de conseiller et de secrétaire.

Ce poste privilégié permit à Wangrin de gagner de l'argent – beaucoup d’argent – au détriment de l’administration coloniale et des commerçants locaux. Il faut dire que Wangrin choisit de se placer sous le signe du dieu « Gongoloma Soké », dieu bizarre et ambigu car « à la fois bon et mauvais, sage et libertin ».

De poste en poste, d'entourloupes en « tours carabinés », Wangrin finit par acquérir au faite de sa gloire, une vraie fortune qu'il utilisa aussi largement – et discrètement comme il se doit – à aider les pauvres et les nécessiteux.

Robin des Bois Toucouleur, le livre narre avec truculence les ruses de cet homme véritablement noble, particulièrement intelligent et fin connaisseur des ambitions humaines ; ce qui ne l’empêchera pas de finir son existence spolié et ruiné.

On pourrait penser qu’il s’agit là d’un conte contemporain sur l’ambition, sur l’administration coloniale, sur les pratiques religieuses au Sahel au début du XXe siècle mêlées d'islam et de fétichisme ou d'un portrait d’une vraie personnalité, d’une espèce de Rastignac africain en beaucoup plus sympathique.

En fait, ce livre est bien plus que cela : Wangrin a réellement existé et ce livre est la narration de sa vie écrite à la demande expresse de l’intéressé.

Ce livre nous plonge loin dans l’espace et le temps à des moments qui font aujourd’hui partie de notre histoire. Guidé par ce personnage attachant, nous abordons des rivages qui seraient totalement oubliés sans cet ouvrage qui fourmille de détails sur les modes de vie, les croyances, les différentes composantes de la société africaine.

Reflet d'une époque, cette biographie picaresque fait date et se dévore en offrant d'agréables moments de lecture.

Hampâté Bâ relate sa rencontre avec Wangrin.

« C'est alors qu'un soir il me dit : "Mon petit Amkoullel, autrefois tu savais très bien conter. Aujourd’hui, tu sais écrire. Je vais donc te raconter ma vie. Tu la prendras en notes et plus tard, lorsque je ne serai plus de ce monde, tu en feras un livre qui pourra à la fois divertir les hommes et 
leur servir d’enseignement. Mais je te demande expressément de ne pas mentionner mon vrai nom, afin que ma famille n’en tire ni sentiment de supériorité, ni sentiment d'infériorité, car il y a les deux dans ma vie. Tu utiliseras l’un de mes noms d’emprunt, celui que j’affectionne le plus : Wangrin."  »

Et c’est à partir de ce moment que l’auteur pris note du récit de Wangrin dicté dans un Bambara « de grande beauté ».

Après sa mort, son grio préféré lui narra sa fin tragique, comment il perdit son fétiche protecteur, tua accidentellement un boa et comment se fit sa rencontre fatale avec la "tourterelle au cou à demi cerclé de noir".« La fortune, dit un adage, est comme un saignement de nez. Cela vient sans raison, et s’arrête tout-à-coup, sans qu’on sache pourquoi... ».